« Make me dance, I want to surrender. Your familiar arms I remember. » 1978, Sheffield. Alison, en transe sur la piste de danse, yeux fermés, pieds nus, d’une beauté magnétique, oscille sur “Pump it up”. Tandis que Daniel, les yeux rivés sur elle, est subjugué par le naturel avec lequel son corps épouse les accords. Elle a 16 ans, lui 18. Ils sont fous amoureux et savourent leur bonheur sans avoir pleinement conscience de la force du lien qui existe entre eux. 2012, Édimbourg/Australie. Les années ont passé. Et si certains souvenirs se sont émoussés, les braises de leur histoire d’amour empêchée n’attendent que d’être soufflées. Quand Alison, devenue romancière à succès en Australie, où elle vit avec ses filles et son mari, reçoit un lien vers la chanson d’Elvis Costello, c’est tout un pan du passé qui ressurgit. Les accords entraînants la propulsent trente ans en arrière, lui faisant remonter le temps aux côtés du garçon qu’elle a abandonné sans explications. À l’époque, les mots lui manquaient pour exprimer toute la honte que sa famille dysfonctionnelle lui inspirait : une mère alcoolique, un beau-père violent et un père ayant déserté le foyer. Un soir de juillet, alors qu’elle devait assurer un concert avec Daniel, Alison disparaît, laissant ce dernier démuni, seul, le cœur brisé. Faute d’avoir su communiquer, leurs chemins ont bifurqué, mais les sentiments sont restés, ne demandant qu’un signal pour être réactivés, qu’une musique bien choisie pour faire basculer leur vie. Après Costello, c’est au tour de Bowie, Blondie, Artic Monkeys, Rory Gallagher…toute une playlist rock-indie-pop mythique d’y passer et une conversation laissée en suspens de reprendre là où elle s’était arrêtée. Par le biais des chansons envoyées, se dessine la possibilité d’une seconde chance : celle de l’amour comme une évidence. D’une douce nostalgie, Lovesong de Jane Sanderson questionne la place que l’on occupe et les choix faits qui déterminent notre vie. Mais quand l’imprévu surgit, encore faut-il avoir le courage de tout lui sacrifier, de prendre le risque de ne pas laisser filer une seconde fois son premier amour retrouvé.
💞 Lovesong, c’est une très belle histoire d’amour…
Les amours manquées en littérature, c’est un sujet galvaudé, vu et rebattu. Et pourtant, ici la nostalgie d’un temps perdu, d’une époque où les cassettes/CD que l’on composait minutieusement permettant d’exprimer en musique ce que les mots peinaient à formuler, nous entraîne dans un voyage à remonter le temps d’une douceur infinie. D’une nostalgie et d’une mélancolie enveloppantes. Par pudeur, timidité ou tout simplement parce qu’à l’adolescence mettre des mots sur des sentiments n’est pas l’exercice le plus évident, Ali et Dan communiquaient en musique. Trente ans après, un monde les sépare : lui, a fait de sa passion son métier en devenant journaliste musical à Édimbourg ; elle, autrice d’un best seller Tell the story, sing the song connaît une ascension fulgurante à Adélaïde, en Australie. Chacun a fait sa vie, s’est marié, eu des enfants, s’est construit, mais n’a jamais oublié la soirée de Noël chez Kev Carter, le jive maladroit dansé dans une chambre du haut, les baisers mouillés, la première fois, l’évidence d’un premier amour, la simplicité avec laquelle l’autre se glisse dans votre univers, le modifiant imperceptiblement, jusqu’au jour où son absence fait tout chavirer. Alison avait pourtant tout bien compartimenté dans sa vie : la famille compliquée d’un côté, les soirées à ramasser sa mère ivre et les tessons de bouteille, le ventre noué à l’idée de ce qu’elle s’apprête chaque jour à découvrir la porte d’entrée poussée, de l’autre. Son quotidien à Attercliffe – un quartier ouvrier « complètement dégradé, le couloir de la mort de Sheffield » – Dan n’en a aucune idée, puisque Alison pétrifiée par la honte ne parle pas.
Après tout, il était entièrement protégé de la réalité honteuse de sa vie ; elle s’était tant évertuée à garder la frontière intacte entre son monde et le sien, à masquer le chaos. Comment pouvait-elle à présent tout lui déverser dessus : tous les détails misérables, intimes et bordéliques qui faisaient sa vie ; toutes les sorties de route de Catherine, de Martin, de Peter.
Lui qui a toujours connu la sécurité d’un foyer fiable, aimant, un endroit chaleureux qu’elle adore fréquenter, ne comprendrait pas. À cela s’ajoute les inquiétudes d’une mère (trop) protectrice flaire en Alison « un nid à problèmes ; une jeune fille chargée de trop de secrets ». En somme, un poids qui risque de peser sur son petit dernier, qu’elle ferait mieux d’écarter. Une famille défaillante, une mère intrusive, des non-dits, et un jour l’incident de trop. Alison s’enfuit de Sheffield sans un mot d’explication. Alors, le jour où Kev Carter, un ancien ami de lycée, envoie à Dan une notification vers le profil Twitter d’@AliConnorWriter, tout se brouille. Le cœur serré, Dan cherche le meilleur moyen de la contacter, lorsque des tréfonds de son esprit une idée de génie se fraye un chemin : un lien, « pas de mot, pas de message. Rien que la chanson, qui en disait long. » Le début d’une longue série de musiques échangées les conduisant dans le passé, là où tout est resté inachevé. Avec peut-être enfin la possibilité de vivre la vie qui les attendait.
Et à quoi il jouait ? Pourquoi c’était si important, même primordial, qu’Alison Connor ne lui file pas entre les doigts pour la deuxième fois ?
L’esprit de Dan filait à cent à l’heure tandis qu’il passait en revue les détails du passé. Ça aurait fait une sacrée différence… Pour lui, pour Alison, pour leur place dans le monde. Elle avait été son rêve en technicolor, son yello submarine, son alpha et son oméga, et ensuite, pendant au moins quelques années, toutes les couleurs s’étaient dissoutes et il s’était retrouvé plongé dans un décor en noir et blanc.
…une playlist rock de folie… 🎸
À écouter sur Youtube ou sur Spotify 🎶
…le livre de l’été ! ☀️
Rendez-vous manqués, amour adolescent, nostalgie des années lycée, douce mélancolie face à nos choix de vie, secrets de famille…tous les ingrédients sont présents dans ce roman pour en faire un livre parfait pour l’été ! À cela s’ajoute, ce charme si particulier que Jane Sanderson a su insuffler, par le biais de personnages incarnés et attachants que l’on suit à travers leurs difficultés à composer. Dans leurs questionnements existentiels, tel que : l’arbitrage entre liberté et responsabilité. Jusqu’où peut-on aller par amour sans blesser, ni trahir, les êtres que l’on a aimés à un moment de notre vie ? Sous ses airs faussement légers, Lovesong abordent des sujets plus profonds qu’il n’y paraît. Avec en fond, toujours, une playlist de qualité.
Mon évaluation : 4,5/5
Date de parution : 2022. Éditions Actes Sud, Trad. de l’anglais par Maya Blanchet, 384 pages.
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