« Le temps n’est pas une flèche. Il s’accumule, dans le corps, dans le monde, comme le bois. Chaque triomphe, chaque désastre inscrit pour toujours dans sa structure. » Ainsi, la collision entre deux trains en 1908 laissant deux garçons de neuf ans orphelins, produira une sorte d’effet papillon à retardement, dont les effets se feront sentir dans le temps. Les choix des deux garçons orienteront de manière significative le destin des générations qui leur succéderont. Qui d’ailleurs réagiront en réaction. Invalidant le modèle suivi et tentant de réparer les dégâts commis. Livrés à eux-mêmes dans les bois, les garçons se voient attribuer le sobriquet de Greenwood, en référence à leur surnom de « garçons au bois vert ». Magnat du bois, bûcheron, activiste écologique, charpentier, dendrologue, quatre générations de Greenwood puisera dans ce nom pour infléchir une direction à sa vie. Mais les racines de la famille s’établissant sur une tragédie, ses ramifications peineront à se déployer. Construisant intelligemment la narration, de telle manière à ce qu’elle épouse la structure d’un tronc : 1908 au centre, puis chaque temporalité s’articulant autour en cercles concentriques comme les cernes d’un arbre (1934, 1974, 2008, 2038), Michael Christie réussit à ce que le fond épouse la forme et réciproquement dans un premier roman éblouissant. Au-delà de cette superbe construction symétrique, qui pourrait passer pour une coquetterie, alors qu’elle permet au contraire à l’histoire de s’épanouir, de s’amplifier, de gagner en densité jusqu’à totalement nous happer, l’auteur tisse une grande fresque familiale sur 130 ans. Portés par le souffle des grands romans américains, on traverse le XXe siècle de la Grande Dépression au désastre écologique du « Grand dépérissement » avec pour fil rouge l’égoïsme humain, les rapports de domination et la destruction systématique des choses auxquelles on tient. Par orgueil ou par lâcheté d’ailleurs. Cela faisait longtemps que je n’avais pas été enveloppée, bercée par une histoire si bien menée. Quel bonheur de lire un roman aussi foisonnant.
Jake devient convaincue qu’une connaissance véritable et parfaite des mécanismes secrets des arbres est le passe-partout intellectuel qui déverrouillera toutes les réponses à ses questions. Que même les mystères impénétrables du temps, de la famille, et de la mort peuvent être résolus si on les considère par le prisme vert de cet organisme magnifiquement complexe.
Mon évaluation : 4,5/5 :
Date de parution : 2021. Grand format aux Éditions Albin Michel, traduit de l’anglais par Sarah Gurcel, 608 pages.
Idées de lecture…
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