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L’orangeraie, Larry Tremblay : l’enfance sacrifiée

3 août 2017
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L’orangeraie est un court roman signé Larry Tremblay, sous la forme d’un conte mettant en scène deux jeunes frères rattrapés par la guerre. Cet ouvrage a reçu le Prix des lycéens Folio 2016 – 2017. Larry Tremblay aborde avec subtilité le fanatisme religieux qui sévit aujourd’hui au Moyen-Orient. Il nous offre une vision de l’intérieur de ces sociétés, des mécanismes de manipulation qui conduisent un enfant de neuf ans à se faire exploser au nom d’une guerre sainte, censée justifiée toutes les ignominies. Mais L’orangeraie n’est pas une fable moralisatrice. Elle a pour vocation de décrire comment dans un pays constamment en guerre l’enfance est exposée et sacrifiée. C’est un récit qui dénonce également l’absurdité de cette guerre sans nom. D’ailleurs l’enjeu de la mission qui sera confiée à un des jeunes frères reste floue, c’est bien là le problème. Sans autre forme de procès, un chef de guerre peut entrer dans une maison, voler un des enfants et décider d’en faire un martyr, sans que ne soient réellement données d’indications précises à la famille concernant la mission confiée à leur enfant. Larry Tremblay livre ici un récit percutant, dont le propos extrêmement violent sera énoncé sous une plume douce et nette, sans pathos. L’orangeraie, en peu de mots, parvient avec justesse à nous exposer ce qui conduit à un tel geste, qui pour nous relève de la barbarie.

Résumé

Les jumeaux Amed et Aziz auraient pu vivre paisiblement à l’ombre des orangers. Mais un obus traverse le ciel, tuant leurs grands-parents. la guerre s’empare de leur enfance. Un des chefs de la région vient demander à leur père de sacrifier un de ses fils pour le bien de la communauté. Comment faire ce choix impossible ? Conte moral, fable politique; L’orangeraie maintient la tension jusqu’au bout. Un texte à la fois actuel et hors du temps qui possède la force brute des grandes tragédies.

Éditions Gallimard

L’élévation au rang de martyr

À aucun moment Larry Tremblay ne précise dans quel pays l’action se déroule. On suppose que l’auteur fait référence à un pays du Moyen-Orient. La famille habite une maison à proximité d’une montagne, au-delà de laquelle serait installé un camp militaire ennemi. En jouant avec leur cerf-volant, cadeau de leur défunt grand-père, les frères jumeaux découvrent cette base militaire. La ficelle du cerf-volant casse, ils n’ont alors d’autres choix que d’aller le chercher de l’autre côté de la montagne afin de se soustraire à la colère de leur père. Un beau jour Soulayed, un chef militaire de la région, débarque dans cette famille, franchit le seuil de la maison sûr de la légitimité de son entreprise, et demande au père de faire honneur à sa famille en lui livrant un de ses fils. Soulayed justifie son entreprise en faisant appel à la destinée divine. Amed et Aziz, en se frayant un chemin jusqu’à ce versant de la montagne ont su éviter les bombes, qui minent le sol, et sont les seuls à avoir réussi cet exploit. Ils sont des élus de Dieu. Cette mission suicide leur revient de droit et avec les hommages de Soulayed. Finalement, les mots choisis « fierté », « honneur », « martyr », « élu », « béni »… sont toujours les mêmes pour conforter la légitimité d’une telle action, seuls le motif des guerres varient.

— Avez-vous maintenant réalisé ce que vous avez accompli ? Vous avez trouvé un chemin pour vous rendre jusqu’à cette drôle de ville. Vous êtes les seuls à l’avoir fait. Tous ceux qui ont tenté de le faire ont été déchiquetés par les mines. Dans quelques jours, l’un d’entre vous retournera là-bas. Toi Aziz, ou toi Amed. Votre père décidera. Et celui qui aura été choisi portera une ceinture d’explosifs. Il descendra jusqu’à cette drôle de ville et la fera disparaitre à jamais.

Soulayed, avant de les quitter, leur a encore dit :

—Dieu vous a choisis. Dieu vous a bénis.

[…] l’honneur que Soulayed leur avait fait. Ils étaient subitement devenus de vrais combattants.

Pour tuer le temps ils s’amusaient à se faire exploser dans l’orangeraie.

Un « choix de Sophie »

Le père ne peut se soustraire à la demande du chef de guerre. La décision, de choisir lequel de ses fils il enverra se faire sauter chez l’ennemi, lui revient. Ce dilemme insoutenable n’est pas sans rappeler le célèbre roman de William Styron, Le Choix de Sophie. Tout comme Sophie, Zahed – le père d’Aziz et Amed – devra choisir lequel de ses fils il sauvera et lequel il sacrifiera. La mère des jumeaux, incapable de se plier avec docilité à une telle injonction, scellera avec l’un de ses fils un pacte terrible. Amed et Aziz, du haut de leurs neuf ans, élaboreront une stratégie afin de décider de celui qui commettra l’attentat. Ce qui interpelle, c’est la maturité des deux garçons. La candeur avec laquelle ils se mettent à jouer avec la ceinture d’explosif mais également la lucidité vis-à-vis des enjeux du conflit politico-religieux. Conflit dans lequel ils ont été bercés depuis leur naissance et qui fait donc partie de leur quotidien. Les répercussions d’un tel acte seront dramatiques pour la famille, qui ne s’en remettra pas. La première partie du récit – qui pourrait faire l’objet d’une adaptation au théâtre sous la forme d’une tragédie – se clos sur le départ d’un des fils au combat. Celui qui lui survivra sera marqué au fer rouge du sceau de la culpabilité.

L’absurdité de la guerre

Si le roman s’était arrêté à la fin de la première partie, on aurait eu à faire à une véritable tragédie. Mais la seconde partie balaie « l’héroïsme », si on peut véritablement utiliser ce terme… La tragédie qui se joue sous nos yeux, mute en une farce, qui soulève le coeur. La tension ne faiblit pas jusqu’à la fin. Le dénouement laisse pantois. Mille questions se succèdent dans l’esprit du lecteur et l’on reste sidéré devant la cruauté des hommes. Une rage folle, meurtrière guide ces hommes, qui sous couvert d’une guerre commettent l’impensable.

Les hommes dans notre pays vieillissent plus vite que leur femme. Ils se dessèchent comme des feuilles de tabac. C’est la haine qui tient leurs os en place. Sans la haine, ils s’écrouleraient dans la poussière pour ne plus se relever.

Où est ta colère ? Je ne l’entends pas. Écoute-moi, Halim : nos ennemis sont des chiens. Ils nous ressemblent, crois-tu, parce qu’ils ont des visages d’hommes. C’est une illusion. Regarde-les avec les yeux de tes ancêtres et tu verras de quoi sont réellement faits ces visages. Ils sont faits de notre mort. Dans un seul visage ennemi, tu peux voir mille fois notre anéantissement. N’oublie jamais ceci : chaque goutte de notre sang est mille fois plus précieuse qu’un millier de leurs visages.

Conclusion

L’orangeraie est un court texte qui mérite d’être lu. Larry Tremblay nous offre une fable fataliste, qui laisse peu de chance aux survivants. Mais terriblement d’actualité. Ce roman m’a fait penser par son sujet, à l’ouvrage de Yasmina Khadra, L’attentat. Qui lui aussi, aborde les thèmes du fanatisme religieux, de l’embrigadement, de la responsabilité collective et d’une violence arbitraire inouïe. L’orangeraie est écrite avec une plume délicate et puissante. Je vous le conseille vivement !

 

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