COUPS DE COEUR LITTÉRATURE ESPAGNOLE

Les livres à lire au moins une fois dans sa vie : L’Ombre du vent, Carlos Ruiz Zafón {#LivreCulte}

24 novembre 2022
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À l’instar de Daniel Sempere, le héros de Carlos Ruiz Zafón : « J’ai grandi entre les livres, en me faisant des amis invisibles dans les pages qui tombaient en poussière et dont je porte encore l’odeur sur les mains. » Dans ma vie de lectrice, certains livres et personnages ont eu un rôle fondateur : Au Bonheur des Dames de Zola, Les trois mousquetaires de Dumas, plus jeune l’héroïne Sally Lockhart de Pullman, le cycle romanesque À la croisée des mondes et ses dæmons, le personnage de lectrice compulsive qu’est Matilda, la saga magique Harry Potter, en particulier Hermione et son insatiable curiosité… Puis, alors que je devais avoir une quinzaine d’années, un libraire m’a conseillé L’Ombre du vent, dévoré en une poignée d’heures. Et là, j’ai compris ce qu’était un page turner, un grand roman populaire doué de qualités littéraires. Ce livre qui en quelques pages plante le décor et vous plonge tête la première dans une intrigue romanesque tellement addictive que les pages défilent, que vous vibrez au rythme des rebondissements et des retournements de situation, que vous passez par une palette infinie d’émotions, que chaque page rend si palpable l’amour de l’auteur pour les mots que vous vous dites qu’il écrit avant tout pour ceux qui comme vous passent le monde au tamis de la littérature, qui complètement captivés par leur lecture, voient les heures défiler, en ayant la sensation d’évoluer dans une bulle hors du temps, un espace protégé chaleureux et merveilleux. Ce pouvoir immersif des mots, le fait que la vie et la littérature soient si intrinsèquement liées, Carlos Ruiz Zafón le rend magnifiquement. « Chaque livre, chaque volume que tu vois, a une âme. L’âme de celui qui l’a écrit, et l’âme de ceux qui l’ont lu, ont vécu et rêvé avec lui. »/« Bientôt, l’idée s’empara de moi qu’un univers infini à explorer s’ouvrait derrière chaque couverture tandis qu’au-delà de ces murs le monde laissait s’écouler la vie […] satisfait de n’avoir pas à regarder beaucoup plus loin que son nombril. »


Écrivain espagnol le plus traduit après Cervantès, Carlos Ruiz Zafón tisse un roman initiatique fabuleux à mi-chemin entre le polar littéraire, le drame historique aux influences gothiques et fantastiques avec pour toile de fond l’Espagne franquiste. Un jour d’été 1945, alors que Daniel Sempere s’apprête à fêter ses onze ans, son père, avec qui il vit seul depuis le décès de sa mère au-dessus d’un « bazar enchanté » – une boutique de livres rares et d’occasion – le réveille pour le conduire vers un lieu mystérieux. Père et fils se glissent à l’aube dans les ruelles sombres d’une Barcelone hantée par les fantômes de la Guerre Civile. Le Cimetière des Livres oubliés est une bibliothèque labyrinthique, où sont gardés les livres abandonnés en attente de toucher un nouvel esprit. À l’issue de ce rite initiatique, Daniel Sempere est invité à adopter un des volumes ayant sombré dans l’oubli, destiné à l’accompagner toute sa vie. Un serment important pour l’adolescent qui, guidé par la main du destin, tombe sur L’Ombre du vent, dont l’auteur, Julian Carax, semble s’être envolé en fumée, comme les pages de son œuvre sous la main d’un homme au visage brûlé. Une âme perdue mue par un humour diabolique empruntant le nom du diable dans le roman de l’écrivain catalan. Brûlant de découvrir la vérité, notre héros accompagné de son fidèle acolyte – un ancien espion traqué par la police franquiste à l’esprit malicieux et au cœur généreux – enquêtent sans imaginer faire ressurgir du passé une histoire d’amours maudîtes, de vies volées et de destins brisés. Une énigme jamais élucidée qu’aucun indice ne laisse présager. À l’image de leur ville, les personnages de Carlos Ruiz Zafón sont tissés de brumes et de secrets, de mensonges et de crimes dissimulés dans les replis du temps. Distillant le suspense à la manière des feuilletonistes du 19e, Carlos Ruiz Zafón éblouit par sa maîtrise de l’art romanesque s’exprimant dans une narration lente et envoûtante, à la construction faite de chausse-trappes et de déclarations à double-fond, jusqu’à l’ultime révélation. Du grand art !


Mon appréciation : 5/5

Date de parution : 2001. Éditions Actes Sud, poche dans la collection Babel, traduit de l’espagnol par François Maspero, 624 pages.

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