Le matin est un tigre puisque la vie est un dĂ©fi. Pour certaines personnes plus que d’autres, et Alma est de celles-lĂ . Constance Joly explore dans un premier roman trĂšs rĂ©ussi et mĂątinĂ© de poĂ©sie la relation fusionnelle entre une mĂšre et sa fille. Hypersensible, Alma est enclin Ă la mĂ©lancolie. Ses pensĂ©es s’engouffrent inĂ©luctablement dans les mĂ©andres de son esprit angoissĂ©. Mais depuis quelques temps, la santĂ© de sa fille lâaccapare tout entier. Billy s’affaiblit. Elle s’efface petit Ă petit. L’adolescente souffre d’un mal mystĂ©rieux qui Ă©chappe au diagnostic des mĂ©decins. Jusqu’au jour oĂč celui-ci tombe comme un couperet. Billy a une tumeur. Il faut l’opĂ©rer d’urgence. Alma se braque. Les spĂ©cialistes se trompent, ils ne saisissent pas. Un chardon s’est logĂ© dans la poitrine de sa fille, elle n’est pas atteinte d’une maladie. Cette plante Ă©pineuse Ă la beautĂ© sauvage a pris racine. Lui retirer reviendrait Ă la condamner. Il faut la laisser se dĂ©ployer. Alma n’en dĂ©mord pas, seule une mĂšre a ce type d’intuition. Ă travers ce premier roman aux allures de conte, Constance Joly interroge les notions de filiation et de transmission. Alma a t-elle insufflĂ© Ă Billy son mal-ĂȘtre ? MalgrĂ© ses efforts au quotidien pour tenter de lâĂ©touffer. Peut-on prĂ©server ceux que l’on aime de ce que l’on est ? Alma est sĂ»re de son fait, le lien quasi tĂ©lĂ©pathique qui les unit a jouĂ© le rĂŽle de vecteur dans la contagion du mal qui ronge Billy. Le chardon a migrĂ© de son corps vers celui de sa fille. Pour qu’il se rĂ©sorbe, encore faut-il qu’elle dompte le sien. Dans une langue d’une rare intensitĂ©, Constance Joly pose la question de l’hĂ©rĂ©ditĂ©, de l’influence involontaire exercĂ©e par les ĂȘtres qui nous sont chers. Les parents peuvent-ils ĂȘtre tenus responsables de l’Ă©volution de leurs enfants ? Constance Joly exprime magnifiquement bien la douleur d’une mĂšre, persuadĂ©e d’avoir Ă©chouĂ© Ă protĂ©ger son enfant, et rend compte avec des mots oĂč affleure lâĂ©motion le combat quâAlma livre pour maĂźtriser ses dĂ©mons.
Une dĂ©ferlante de premiers romans, oĂč l’onirisme prend le pas sur le rĂ©alisme
Depuis quelque temps, des primo-romanciers font le choix de proposer une vision sublimĂ©e de la rĂ©alitĂ©. C’est le cas de Constance Joly, mais Ă©galement de Jean-Baptiste Andrea (Ma reine), Gilles Marchand (Une bouche sans personnes, Un funambule sur le sable), Olivier Bourdeaut (En attendant Bojangles), et beaucoup d’autres. Cet essor des romans octroyant une place aussi consĂ©quente Ă la poĂ©sie, aux rĂȘves et Ă l’imagination, traduit, Ă mon sens, un sentiment de frustration. La littĂ©rature compense la trivialitĂ© de nos existences en y distillant du merveilleux. Les livres enrichissent la palette de notre nuancier, colorisant le paysage monochrome terriblement anxiogĂšne dans lequel on se laisse engluer. Ces Ă©crivains l’ont compris, exprimer la violence, la diffĂ©rence, le sentiment d’oppression et d’exclusion…n’implique pas nĂ©cessairement de se rapprocher au plus prĂšs de la rĂ©alitĂ©. Au contraire, en adoptant un ton faussement lĂ©ger, ils en dĂ©noncent toute la cruautĂ©. Ils soulignent la nĂ©cessitĂ©, pour sauver sa peau, de maintenir une certaine distance. De se crĂ©er une bulle dans laquelle il serait possible de se rĂ©fugier afin d’Ă©chapper aux injonctions de bonheur instantanĂ©, qui nous sont assĂ©nĂ©es Ă longueur de journĂ©e. Condition sine qua non pour continuer Ă avancer dans un monde oĂč l’imagination se rĂ©duit comme une peau de chagrin. Le conte n’est-il pas le meilleur moyen de traduire le monde tel qu’il est ? Les fables de La Fontaine, la parfaite reprĂ©sentation d’une sociĂ©tĂ© gangrĂ©nĂ©e par le pouvoir et les vices ? L’allĂ©gorie embrasse avec subtilitĂ© toute la palette des comportements humains. Peut-ĂȘtre est-on arrivĂ© Ă un point culminant, un rejet tel qu’un retour Ă l’essentiel s’avĂšre salutaire. DĂšs lors, le conte est Ă envisager comme un intermĂ©diaire permettant de se reconnecter avec le rĂ©el. Pour l’apprivoiser autrement. Ne plus le fuir, mais l’envisager diffĂ©remment. La littĂ©rature comme toujours est un trĂšs bon outil pour prendre le pouls de la sociĂ©tĂ©.
Conclusion
Constance Joly signe un premier roman d’une dĂ©licatesse infinie, dans lequel elle interroge le lien tĂ©nu entre une mĂšre et sa fille. Le matin est un tigre Ă©volue Ă la lisiĂšre du conte. La morale est certes attendue, mais joliment amenĂ©e. De sorte que l’on ressort conquis de ce premier roman.
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