« La guerre a laissé des traces sur Larry : en revenant, il n’était plus le même. Ce n’est pas seulement qu’il soit plus âgé ; il lui est arrivé quelque chose qui a changé sa personnalité. » Chicago, Paris, Londres, La French Riviera, début du XXᵉ siècle. Depuis l’enfance, Larry et Isabel s’aiment. Le couple est promis à un mariage heureux, puisque reposant davantage sur les sentiments, que sur un arrangement financier rondement mené. Isabel a des goûts de luxe, évolue dans un cercle fermé. Le temps dans la haute société s’égrène au rythme des mondanités et des réceptions organisées dans de vastes demeures, dénotant une certaine vulgarité certes, mais que l’assurance de la prospérité de toute une lignée tend à dissiper. Or, Larry n’est pas issu de ce monde-là. Orphelin, disposant de revenus limités, le jeune homme n’a pas le goût de l’apparat. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, il s’engage dans l’aviation. Marqué irrémédiablement par un événement survenu sur le front, le retour à la vie civile s’avère délicat. Isabel perçoit cette légère déviation, cette note discordante chez l’homme qu’elle aime, pour qui ses sentiments n’ont rien perdu de leur éclat. L’amour est là, mais les aspirations divergent, contrariant les plans d’Isabel, qui n’a d’autre choix que d’abroger le contrat tacite qui les unissait. Bien que leurs destins suivent des chemins disjoints, ils se croiseront empêchant leurs sentiments, tenus secrets et étouffés sous le voile de la bienséance, de s’évanouir complètement. Dans un style fin et délicat « très anglais », le narrateur de ce récit, ami intime du couple, mais également romancier, réalise la chronique d’un mariage avorté, voué à l’échec, tout en soulignant les incompatibilités amoureuses empêchant une histoire de fonctionner. William Somerset Maugham épingle avec une subtilité non dénuée d’ironie les travers d’une société superficielle, où le statut social est seul indicateur de succès. En quête d’absolu, Larry fait figure d’hérétique, refusant de se couler dans un moule préétabli. Un roman d’apprentissage prenant, dont les portraits psychologiques manquent toutefois d’aspérité et auraient gagné à être étoffés.
Il est difficile de passer sur le fil d’un rasoir. Aussi difficile, disent les sages, est le chemin qui mène au salut.
Katha-Upanishad
– Tu es peut-être dans le vrai. Les Armour and Swift mettront en boîte plus de viande, et de meilleure ; les Mc Cormick fabriqueront plus de tracteurs, et de meilleurs ; et Henry Ford sortira plus de voitures et de meilleures. Et chacun deviendra de plus en plus riche.
– Et pourquoi pas ?
– Comme tu dis : pourquoi pas ? Mais, par hasard, il se trouve que l’argent ne m’intéresse pas.
Isabel avait été élevée dans certains principes, et elle avait adopté ceux qui lui avaient été inculqués. Elle ne pensait pas à l’argent, car elle n’avait jamais connu la moindre privation ; mais elle avait la notion instinctive de l’importance du bien-être matériel. L’argent signifiait le pouvoir, l’influence et la situation mondaine. De toute évidence, un homme avait le devoir d’en gagner ; ce devait être le but élémentaire de sa vie.
– Moi-même, j’ai failli une fois m’amouracher de lui. Autant s’éprendre d’un reflet dans l’eau ou d’un rayon de soleil ou d’un nuage dans le ciel. Je l’ai échappé d’un cheveu. Encore maintenant, quand j’y pense, je tremble à l’idée du danger que j’ai couru.
Larry est, je pense, le seul être parfaitement désintéressé que j’aie jamais rencontré. C’est pourquoi ses actes paraissent singuliers. Nous ne sommes pas habitués à voir les gens faire des choses pour l’amour d’un Dieu en qui ils ne croient même pas.
Pour ma part, je pense que nous avons fait fausse route dans le choix de notre idéal : le plus bel idéal me semble-t-il que puisse se proposer l’homme, c’est la perfection du moi.
Mon évaluation : 3/5
Date de parution : 1944. Poche aux Éditions Points, collection Signatures, traduit de l’anglais par Renée L. Oungre, 432 pages.
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