Il m’a fallu des années pour enfin me décider à lire L’attrape-cœurs, craignant de passer à côté d’un texte fondateur, qui a su marquer des générations de lecteurs. Quelle erreur ! Publié en 1951, l’unique roman écrit par J. D. Salinger est un véritable chef d’œuvre. Un récit initiatique doté d’une grâce inouïe, dans lequel l’auteur explore le sentiment de solitude qui étreint le narrateur. Un adolescent, renvoyé de son lycée, s’octroie trois jours de liberté loin des carcans qui lui sont imposés. L’attrape-cœurs est le récit de ses errances dans les rues de New York et de sa tentative de tromper la mélancolie. J. D. Salinger évoque avec une infinie poésie, teintée de nostalgie, le passage délicat de l’enfance à l’âge adulte. Grandir suppose d’apprendre à composer avec soi et les autres. Pour que le rapport d’altérité existe et soit juste, encore faut-il que la notion d’identité soit au préalable circonscrite. C’est cet apprentissage que le narrateur fait. Il prend conscience de qui il est. Son rapport aux autres s’en trouve transformé. À quoi tient un chef d’œuvre ? Peut-être à cette sensation diffuse qui enveloppe progressivement. La frontière séparant la fiction du réel s’amenuise, le lecteur est comme transporté dans un temps en suspens. C’est une expérience intime, rare, qui a la force d’une révélation. D’autant plus précieuse qu’elle vous saisit sans que vous n’en ayez l’intuition. En lisant L’attrape-cœurs, j’ai été submergée par l’émotion. La littérature a ceci de commun avec la musique, que si une note discordante agresse l’oreille, une idée mal exprimée produit le même effet. Un rien suffit à rompre l’harmonie. J. D. Salinger ne commet pas d’impair. Il retranscrit merveilleusement bien le vertige du vide, l’angoisse qui naît du sentiment de ne pas trouver sa place, d’autant plus à cet âge charnière qu’est l’adolescence. Souvent vécu comme une période de transition, favorisant l’impression d’exclusion. Je relis rarement les romans. Et pourtant, une fois L’attrape-cœurs achevé, je n’avais qu’une envie, m’y replonger.
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Autour du livre
Article dans Le Monde > Le mystère « Attrape-cœurs »
Date de parution : 1953. Éditions Robert Laffont collection Pavillon Poche (collector), traduit de l’anglais (américain) par Annie Saumont, 256 pages.
CLASSIQUE
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