Marceline Loridan-Ivens livre un témoignage inédit en s’interrogeant sur l’impact des camps de concentration sur le rapport au corps. La dimension charnelle s’en trouve-t-elle fondamentalement alterée ? Peut-on faire l’expérience d’une vie de femme épanouie quand jeune on a appris à nier son corps, conscient du fardeau que celui-ci représente ? La moindre faiblesse étant synonyme de fin précoce. Peut-on tout simplement aimer, se laisser aller, s’abandonner et faire confiance à l’autre ? Marceline Loridan-Ivens est déportée à l’âge de quinze ans avec son père au camp d’Auschwitz-Birkenau. Seule rescapée, son père n’en reviendra pas. C’est à lui qu’elle consacre son sublime ouvrage Et tu n’es pas revenu. Cette fois-ci, elle fait le choix de revenir sur sa vie de femme, ses amours, ses amants, ses échecs. D’ouvrir au lecteur sa « Valise d’amour » et de raconter sa vie d’après les camps. C’est avec une franchise désarmante que Marceline Loridan-Ivens se confie au lecteur et lève le voile sur un pan intime de sa vie privée. Elle ne nous cache rien, n’occulte pas cette manière parfois (souvent) désinvolte avec laquelle elle congédie les amants un peu trop insistants. Avec malice, elle se raconte. On découvre une femme résolument moderne pour l’époque. Une femme qui ne conçoit pas de sacrifier ses choix sur l’autel de la bienséance. Qui n’entend pas se faire dicter sa conduite. À la fois fragile et animée d’une énergie folle, Marceline Loridan-Ivens incarne l’image d’une femme libre dotée d’une vitalité galvanisante. Pour autant, les plaies sont là, bien visibles, difficiles à colmater, même si elle cherchera à les apaiser en invoquant la présence des hommes. Dans une langue directe sans aucun fard, elle évoque la sécheresse de ce corps marqué, une sexualité dont elle n’a pas les clés et qui lui résiste, son incapacité à faire preuve de sensibilité. L’amour après, dépeint une femme nerveuse, sur le qui-vive prête à se dérober lorsque engagement rime avec emprisonnement. Une femme éprise de liberté, qui a vécu sa vie comme elle l’a pu en tentant de concilier un passé resté gravé sur son avant-bras et un futur qui lui était refusé.
Un témoignage inédit
Pléthore d’auteurs ont écrit sur leur expérience des camps, sur la difficulté de survivre à ceux qui n’en sont jamais revenus. Néanmoins je n’avais encore jamais eu l’occasion de lire un témoignage si intime sur l’impact des camps sur la sexualité des rescapés. Je ne m’étais jamais posée la question, pourtant fondamentale, de la sexualité féminine. Il semble pourtant évident que si l’existence des camps a laissé une trace indélébile et si profondément incrustée dans la mémoire collective, y réchapper a du dénaturer le rapport à la sexualité. Ce récit indispensable répare cette carence. Marceline Loridan-Ivens nous entraîne dans ce tourbillon de fréquentations où elle côtoie indifféremment intellectuels, anciens déportés, amis de longue date, artistes prometteurs, en plein cœur de Saint-Germains-des-Près, son terrain de jeu préféré. Elle enchaînera les amants, de manière compulsive. Animée par une rage folle, il émane d’elle une envie de se tester et de mettre à l’épreuve l’amour qu’on lui porte. Il est dès lors impératif de ne pas se reposer, de chasser la monotonie, les injonctions de sa mère à se marier. D’échapper à l’ennui en s’enivrant de luttes politiques, de combats à mener, de projets à monter. Chez cette femme tout feu tout flamme, se cache la petite fille partie pour les camps. Celle qui revint orpheline de père. En filigrane dans le texte, apparaît une femme à la recherche d’une figure paternelle solide capable de la protéger tout en préservant sa liberté. Sa quête de repères la conduira dans les bras de celui qui comblera ce vide immense qui la happe. Cette insatisfaction permanente qui l’empêche de se laisser aller aux jeux de l’amour. Cette rencontre, tant amoureuse qu’intellectuelle – là est le secret de sa longévité, elle la résume avec ces mots d’une grande délicatesse :
Et doucement, à ses côtés, la jeune femme et la survivante ne firent plus qu’une seule.
Une femme moderne, éprise de liberté et terriblement attachante
L’amour après, m’a fait le même effet que lorsqu’après des années à côtoyer une personne, tout d’un coup celle-ci se met à vous confier une expérience personnelle intime. Marceline Loridan-Ivens donne l’impression au lecteur de s’adresser directement à lui. Vous êtes là, face à elle. Une intimité délicate se crée, propice à la confidence. Elle se confie, se met à vous raconter l’histoire de sa vie. Le lecteur a alors l’agréable sensation d’être le dépositaire d’un témoignage unique. Le témoin privilégié d’une intimité dévoilée. Cette femme qui se dessine sous nos yeux se révèle terriblement attachante. Tout en irrégularités, en tâtonnements. Marceline Loridan-Ivens avance à l’aveugle, se construit sans modèle préétabli. On se laisse aller à imaginer une femme pétillante. Ses yeux brillent d’un éclat malicieux derrière sa machine à lire. Un sourire se dessine sur ses lèvres.
Conclusion
Toute la beauté de ce témoignage réside dans cette affirmation d’une justesse inouïe.
Aimer quelqu’un c’est l’aider à vivre.
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