« Ce fut comme si elles se rappelaient soudain/qu’elles existaient vraiment/par elles-mêmes./Car si jusqu’à présent elles avaient bien eu un rôle/c’était leur rôle à l’usine, à la chaîne de montage,/ou leur rôle domestique : fille, épouse ou mère./Enfin : un air nouveau ! » Le 6 avril 1917, une femme – ouvrière de Doyle & Walkers Munitions – repère un ballon dans la cour de l’usine – en réalité le prototype inoffensif d’une bombe destinée à atterrir sur la tête des Allemands – s’élance, et shoote, bientôt suivie par onze ouvrières, encore inconscientes de l’opportunité que leur offre la guerre dans le combat pour l’émancipation et la liberté. La mobilisation des hommes sur le front apparaît comme une bénédiction. L’occasion rêvée pour s’affranchir des rôles dans lesquels la société les a cantonnées. Fille et épouse de pasteurs, célibataire à la recherche d’un mari craignant de devenir vieille fille si la guerre se poursuit, épouse d’un socialiste à qui l’on notifie que ses avis politiques ne sont pas requis… Onze femmes qui, alors que les hommes affrontent l’ennemi, sont en charge de faire marcher le pays et de produire l’artillerie. Et puis après tout, les absents ont toujours tort, il sera toujours temps de leur expliquer lorsqu’ils reviendront le pourquoi du comment. En attendant, elles ont d’autres chats à fouetter ou plutôt des matchs à disputer. Contre des équipes de bras cassés, la tête ceinte de bonnets roses – puisque des femmes courant les cheveux au vent, c’est parfaitement inconvenant…, elles dribblent, jouent comme des déchaînées la rage au ventre, prêtent à en découdre, galvanisées par l’envie de mettre à bas des milliers d’années de patriarcat. Après l’éblouissant Les Frères Lehman, poème en vers libres retraçant le destin hors du commun d’une famille de banquiers, Stefano Massini réitère le procédé et relate avec la même fougue épique un événement historique. Plus qu’une satire politique, sous la plume drôle et piquante du romancier, la naissance en Angleterre du football féminin devient un acte féministe militant. Une lecture délicieuse. Une véritable bouffée d’air frais !
De fait,
dès le premier regard la blonde Emily
tomba amoureuse de Joshua,
car c’est cet amour qui lui sauva la vie.
Olivia copia cette phrase à la page 46 de Sept jours
d’amour,
et – une fois amputée d’Emily et de Joshua –
l’utilisa à plusieurs reprises
pour raconter la naissance du Ladies :
« Dès le premier coup de pied,
nous tombâmes amoureuses du football,
car cet amour nous sauvait la vie. »
Aussi, je vous en donnerai des footballeuses :
des prêtresses, voilà ce qu’elles étaient.
Et pas seulement du football :
d’un plus dont elles ignoraient le nom
mais qui les inondait de bien-être,
car à chaque coup de pied donné
elles avaient l’impression d’envoyer tout balader,
de défoncer le monde entier
qui de surcroît était rond.
« Mais vos maris ? Qu’en disent-ils ? Peut-on savoir ?
« Désolé, monsieur Walker, ils sont tous à la guerre,
à part le mien qui est aveugle et sourd,
ce qui m’empêche de lui poser la question. »
Mon évaluation : 4/5
Date de parution : 2021. Grand format aux Éditions Globe, traduit de l’italien par Nathalie Bauer, 192 pages.
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