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La disparition de Josef Mengele, Olivier Guez : Prix Renaudot 2017 (#RL2017)

14 septembre 2017
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La disparition de Josef Mengele signĂ© Olivier Guez, est un des romans importants de cette rentrĂ©e littĂ©raire. Sous la forme d’une enquĂȘte journalistique romancĂ©e, l’auteur retrace le parcours en AmĂ©rique latine de l’ancien haut dignitaire nazi, mĂ©decin Ă  Auschwitz oĂč on lui attribua le surnom de « l’ange de la mort ». Tout le monde connaĂźt les atrocitĂ©s commises par cet homme dans les camps de concentration et le zĂšle hors norme qu’il dĂ©ploie dans l’exercice de ses fonctions mĂ©dicales. L’homme en uniforme Ă  tĂȘte de mort a mutilĂ©, torturĂ©, arrachĂ© des membres, collectionnĂ© des yeux, fait cuire des ĂȘtres humains, dissĂ©quĂ©, stĂ©rilisĂ©, massacrĂ©, rĂ©alisĂ© des prĂ©lĂšvements sur des ĂȘtres vivants… Tout cela au nom de la science. En sĂ©vissant Ă  Auschwitz, il disposait d’un nombre inestimable de cobayes humains pour pratiquer ses expĂ©riences mĂ©dicales. Digne reprĂ©sentant de l’idĂ©ologie nazie, ses idĂ©es concernant la puretĂ© de la race et son rĂŽle dans la diffusion des idĂ©es eugĂ©nistes, ainsi que leur mise en pratique, lui valent le statut de criminel de guerre. Si chacun connaĂźt Josef Mengele sous les traits du scientifique sans scrupules, moins connue est sa fuite en Argentine et sa cavale pour Ă©chapper Ă  la justice des hommes. Olivier Guez dans une langue journalistique dĂ©pouillĂ©e s’applique Ă  dĂ©mĂȘler le vrai du faux, les faits rĂ©els des rumeurs avec minutie afin de mettre en lumiĂšre la vĂ©ritable organisation de son extradition. Comment un criminel de guerre recherchĂ© par tous les Ă©tats de la planĂšte a-t-il pu passer entre les mailles du filet ? Finalement c’est la question qui apparaĂźt en filigrane dans ce rĂ©cit et Ă  laquelle l’auteur tente d’apporter une rĂ©ponse convaincante.

L’AmĂ©rique latine : terre d’asile des anciens dignitaires nazis

La rĂ©putation des rĂ©gimes militaires sud-amĂ©ricains de la seconde moitiĂ© du XXe siĂšcle est bien connue. L’Ă©mergence de rĂ©gimes militaires en AmĂ©rique Latine Ă  partir des annĂ©es 70 a permis aux criminels du monde entier de trouver refuge et assistance. Pour Josef Mengele, exfiltrĂ© vers l’Argentine en 1949, le rĂ©gime du gĂ©nĂ©ral PerĂłn s’avĂšre ĂȘtre un alliĂ© de taille dans sa fuite hors de l’Europe. Le gĂ©nĂ©ral PerĂłn, alors au pouvoir, voue un culte Ă  l’Allemagne nazie ainsi qu’Ă  l’Italie fasciste du temps de Mussolini. En accueillant d’anciens nazis, il espĂšre faire de l’Argentine une nation qui compte aux yeux du monde instigatrice d’un troisiĂšme axe visant Ă  faire pĂ©ricliter les États-Unis et la Russie communiste. Ce qui, vous n’ĂȘtes pas sans le savoir conduira bien Ă©videmment Ă  un Ă©chec, Ă  sa destitution et Ă  l’arrivĂ©e au pouvoir de la junte militaire. Alors que l’on aurait pu imaginer que Josef Mengele, tel un cancrelat, se serait terrĂ© une fois arrivĂ© en Argentine, on dĂ©couvre avec stupeur qu’il y circulait librement en toute impunitĂ©. Nul besoin de se cacher dans un pays qui se targue de rassembler le nec plus ultra des dĂ©viances de l’esprit humain : nazis, fascistes, tortionnaires, criminels de guerre, trafiquants… Que du beau monde en somme ! Pire, il existait alors un rĂ©seau d’exfiltration d’anciens nazis parfaitement huilĂ©. Lorsque le gratin du dĂ©funt parti national-socialiste – « la nazi society de Buenos Aires »- se rĂ©unit, la valeur de chacun se mesure Ă  son bilan meurtrier, baromĂštre morbide dĂ©shumanisant. Ainsi Ante PavelĂ­c compte Ă  son actif pas moins de huit cent cinquante mille victimes serbes, juives et tsiganes, Eduard Roschmann, alias le boucher de Riga, fait Ă©tat de trente mille juifs lettons assassinĂ©s, Gerhard Bohne, le directeur administratif du programme d’euthanasie T4, deux millions de stĂ©rilisĂ©s et soixante-dix mille handicapĂ©s gazĂ©s. Il faudra attendre 1960 pour que Josef Mengele, informĂ© de la capture d’Eichmann par les services secrets israĂ©liens, se sente acculĂ© et dĂ©cide de fuir au BrĂ©sil sous une fausse identitĂ© pour Ă©chapper au Mossad. Pendant 10 ans, alors que l’Europe tente de se reconstruire sur des ruines, les anciens nazis auront vĂ©cu une vie de pacha. Cette rĂ©alitĂ© dĂ©crite par Olivier Guez de maniĂšre factuelle est pourtant teintĂ©e de consternation, les puissances occidentales semblent avoir mieux Ă  faire que de traquer les origines du mal.

La lenteur du dispositif judiciaire consacré à la traque des anciens nazis 

Second point d’Ă©tonnement, la lenteur du processus judiciaire. L’Europe d’aprĂšs guerre, en ruine, tente de se reconstruire et pour cela dĂ©cide d’ajourner son devoir de mĂ©moire. Il faudra attendre 1995 en France pour que soit reconnue officiellement la collaboration avec le rĂ©gime de Vichy. De mĂȘme, ce ne sera qu’en 1985 que la tĂȘte de Josef Mengele sera mise Ă  prix, soit 6 ans aprĂšs sa mort. Il est Ă©tonnant de voir que Josef Mengele a laissĂ© tant de traces derriĂšre lui, qu’il a pu correspondre toutes ces annĂ©es de cavale avec sa famille restĂ©e en Allemagne Ă  la tĂȘte d’une entreprise extrĂȘmement lucrative – sous le nom de Mengele !!!, qu’il a pu rencontrer son fils, se marier, sans ĂȘtre interceptĂ©. Olivier Guez rappelle Ă  plusieurs reprises la coopĂ©ration entre les États-Unis et l’Allemagne de l’Ouest avec d’anciens nazis. Il est de notoriĂ©tĂ© publique que la CIA collaborait avec eux sur certaines missions. Certains d’entres eux ont continuĂ© Ă  exercer leur profession pour le compte de puissances occidentales peu regardantes sur le passif de leurs collaborateurs. L’Allemagne a longtemps Ă©tĂ© gangrĂ©nĂ©e par ces hommes, qui au lendemain de la guerre et jusqu’Ă  leur mort n’ont cessĂ© d’occuper des postes au sein de l’administration allemande. Comme le souligne Olivier Guez, il faudra attendre l’arrivĂ©e d’une nouvelle gĂ©nĂ©ration prĂȘte Ă  faire la lumiĂšre sur les heures sombres de son histoire, pour espĂ©rer faire vĂ©ritablement le deuil. La disparition de Josef Mengele n’est qu’un prĂ©texte qui permet Ă  Olivier Guez de dĂ©noncer les dĂ©rives de la realpolitik. La realpolitik dĂ©signe « la politique Ă©trangĂšre fondĂ©e sur le calcul des forces et l’intĂ©rĂȘt national ». Dans la seconde moitiĂ© du 20e siĂšcle, la guerre froide fait rage et les Ă©tats ont bien mieux Ă  faire que de traquer un ancien dignitaire nazi, fĂ»t-il « l’ange de la mort ».

Conclusion

Ce roman publiĂ© pour la rentrĂ©e littĂ©raire est intĂ©ressant car il s’inscrit dans la veine des rĂ©cits mĂȘlant journalisme et biographie au service d’une vĂ©ritĂ© crue. La disparition de Josef Mengele participe au travail de mĂ©moire, comme le rappelle Olivier Guez Ă  la fin de son ouvrage l’ĂȘtre humain a la mĂ©moire courte. L’exposĂ© est factuel, l’auteur ne se perd pas dans les mĂ©andres de l’histoire. J’ai trouvĂ© cet ouvrage passionnant et particuliĂšrement instructif, Olivier Guez maĂźtrise son sujet et nous en fait profiter.  Seul petit bĂ©mol, j’aurais aimĂ© que le rĂ©cit soit moins dĂ©sincarnĂ©, factuel. Il manque un peu la patte de l’auteur, le journaliste a tendance Ă  se substituer au romancier par moments. Si on omet ma derniĂšre petite remarque, vous pouvez foncer, vous ne vous ennuierez pas une seconde ! 😉

 >>> RENTRÉE LITTÉRAIRE 2017 (#RL2017)

>>> Chronique du Prix Goncourt 2017, par ici !

>>> Chronique du Prix Renaudot Essai 2017, par ici !

>>> Chronique du Prix de Flore 2017, par ici !

>>> Chronique du Grand Prix des Blogueurs Littéraires 2017 & Prix du Roman Fnac 2017, par ici !

 

2 Comments

  • Reply Aniouchka 31 octobre 2017 at 14 h 36 min

    Je n’ai moi non plus pas pu lĂącher ce livre ! C’est un formidable travail d’enquĂȘte et d’Ă©criture qui va Ă  la rencontre de ce que le genre humain a de plus abject.

    • Reply Books'nJoy 31 octobre 2017 at 16 h 15 min

      Je partage totalement votre avis, Olivier Guez livre un document indispensable ! C’est particuliĂšrement frustrant de savoir que cet homme, dĂ©nuĂ© de conscience morale, soit passĂ© toute sa vie entre les mailles du filet de la justice…

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