COUPS DE COEUR LITTÉRATURE FRANÇAISE

Je vous écris dans le noir, Jean-Luc Seigle : le destin brisé de Pauline Dubuisson condamnée par les hommes

24 juin 2017
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Fait marquant, la même année sortent deux romans biographiques sur Pauline Dubuisson Je vous écris dans le noir de Jean-Luc Seigle et La petite femelle de Philippe Jaenada. Tous deux s’attaquent à la femme la plus haïe de France dans les années 50. Pauline Dubuisson fut condamnée à la perpétuité pour avoir tiré trois coups de revolver sur son amant. Celui-ci ne souhaitant plus l’épouser après avoir découvert ses sombres secrets, elle fut tondue au moment de la Libération pour avoir entretenu une relation avec un médecin allemand. Elle fut présumée coupable des crimes les plus abjects par l’opinion publique avant de comparaître devant la justice. Rien ne lui fut épargné, ni les humiliations, ni les insultes. Elle fut toute sa vie victime de la violence des hommes. Alors que Philippe Jaenada nous livre un portrait extrêmement détaillé dans son roman La petite femelle, Jean-Luc Seigle prend le parti de romancer son histoire. Lorsqu’elle se suicida en 1963, on retrouva près d’elle une centaine de feuillets, qui depuis ont disparu. Jean-Luc Seigle part de ses feuilles pour imaginer les confessions que Pauline Dubuisson auraient pu laisser à la postérité. Ce roman écrit à la première personne est tout simplement magnifique, un petit bijou de littérature. Autant par son écriture, que par l’habileté avec laquelle il se glisse dans la peau d’une femme criminelle, Jean-Luc Seigle détonne. Il met le doigt sur ce qui a conduit Pauline Dubuisson à connaître un destin aussi tragique, il dénonce une société profondément misogyne. Il réhabilite l’image de celle qui fut surnommée « la Messaline des hôpitaux ». Décrite par ses bourreaux comme perverse, tentatrice et manipulatrice, Jean-Luc Seigle dépeint une femme qui toute sa vie fut à la recherche d’une seule chose, être aimée. Calomniée et soumise au jugement de l’opinion publique toute sa vie, elle se donne la mort pour trouver la paix le 22 septembre 1963. Le roman commence par cette citation de Vladimir Jankélévitch, qui annonce la teneur du récit :

Car la vie de quelqu’un, même la plus humble, est un déroulement inédit et original d’une suite d’expériences uniques en son genre. Le témoin ne peut donc juger qu’à la condition de rester témoin jusqu’au bout. Qui sait si la dernière minute ne viendra pas d’un seul coup dévaluer une vie apparemment honorable ou réhabiliter au contraire une vie exécrable ?

Résumé

1961. Après avoir vu La Vérité de Clouzot, inspiré de sa vie et dans lequel Brigitte Bardot incarne son rôle de meurtrière, Pauline Dubuisson fuit la France et s’exile au Maroc sous un faux nom. Lorsque Jean la demande en mariage, il ne sait rien de son passé. Il ne sait pas non plus que le destin oblige Pauline à revivre la même situation qui, dix ans plus tôt, l’avait conduite au crime. Choisira-t-elle de se taire ou de dire la vérité ?

Jean-Luc Seigle signe un roman à la première personne où résonne les silences, les rêves et les souffrances d’une femme condamnée à mort à trois reprises par les hommes de son temps.

Flammarion

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Un passé lourd tu au moment de son procès

Personne, durant mon procès, ne savait que j’avais été condamnée à mort, ni victime de cette série de viols. Mes juges ne savaient qu’une seule chose : la femme coupable avait été tondue.

Qui est Pauline Dubuisson ? C’est à cette question que les juges auraient du s’évertuer à répondre pour comprendre ce qui a poussé cette jeune fille de vingt et un ans étudiante en médecine, à tuer son ex-fiancé de trois balles de revolvers tirées à bout portant. Pauline Dubuisson porte le poids d’un passé lourd et douloureux dont l’examen minutieux aurait livré les clés de compréhension de sa personnalité. Cet examen au moment du procès n’a pas été fait. Il était plus simple de faire de Pauline Dubuisson une meurtrière sanguinaire, avide de sexe et pervertie. Il suffit de lire les articles de presse qui lui sont consacrés pour comprendre l’ampleur de la violence dont elle a fait l’objet. Pauline Dubuisson est la dernière de sa fratrie composée de trois garçons. Élevée à Dunkerque pendant l’entre-deux-guerres, elle connut une enfance préservée. Très proche de son père, elle lui voue un culte sans borne et entretient une relation oedipienne avec lui. Elle écarte sa mère, qui pourtant sera la seule à ne pas l’accabler. Jean-Luc Seigle analyse avec profondeur les liens familiaux qui unissent les membres de la famille Dubuisson. Son père la poussera dans les bras d’un médecin allemand sous l’occupation. Prête à tous les sacrifices pour obtenir son assentiment et sa reconnaissance, elle assistera ce médecin qui en guise de rémunération lui permettra de se servir en produits alimentaires. La libération marque le début de son calvaire. Tirée de chez elle de force, elle sera exposée sur la place publique, tondue – le crâne mais également les parties intimes, et soumise au regard de tous. Violée par ces « résistants » et « libérateurs » de la dernière heure, Jean-Luc Seigle date le moment de sa mort à ce moment précis. Victime d’une violence inouïe, elle sera marquée au fer rouge pour le restant de ses jours. L’auteur dénonce la cruauté dont a été victime Pauline Dubuisson. Cruauté qui ne fut pas prise en compte au moment du procès. Ce passé sera son fardeau puisqu’en révélant la vérité à son fiancé, celui-ci la quittera. Elle fut constamment rejetée et abandonnée par les hommes importants de sa vie. Son père se suicida de honte après qu’elle eut commit son crime et son ex-fiancé la quitta après avoir découvert qui elle était vraiment. Selon ses dires il ne pouvait décemment présenter une telle femme à sa mère. Pauline Dubuisson avait une peur bleue d’être abandonnée et désaimée. C’est cette femme violentée qui aurait du être jugée, non pas l’image que les hommes en avaient.

– Je crois qu’on ne peut mourir que d’être désaimée. Et ça, ce n’est pas mourir d’amour, c’est même l’inverse.

Pauline Dubuisson fut condamnée par la justice des hommes dans une société profondément misogyne 

Si j’ai échappé à la mort c’est uniquement grâce à la seule femme du jury.

Pauline Dubuisson fut condamnée avant même d’avoir été jugée. Elle fut pointée du doigts pour des agissements réprouvés par la morale de l’époque. Elle incarnait ce que les hommes craignaient. Elle avait des amants, souhaitait faire médecine pour avoir une situation professionnelle lui permettant d’être indépendante et libre. Elle tranchait avec l’image de la femme soumise de l’époque. Ce refus du conformisme et cette volonté d’émancipation furent les réels chefs d’inculpation retenus contre Pauline Dubuisson.

Jean-Luc Seigle excelle dans l’art d’incarner et par la même occasion de réhabiliter Pauline Dubuisson 

Je m’appelle Pauline Dubuisson et j’ai été condamnée pour meurtre en 1953. Ce n’est qu’une petite phrase, grammaticalement correcte, qui ne vaut rien d’un point de vue littéraire et qui pourtant a plus d’implication que n’importe quelle phrase écrite par le plus grand des poètes.

Jean-Luc Seigle se glisse avec adresse dans la peau de cette criminelle. Il restitue avec finesse le ressenti d’un personnage féminin complexe. Il réalise avec Je vous écris dans le noir un véritable tour de force. L’utilisation de la première personne du singulier confère à l’oeuvre un côté intimiste. Ce procédé narratif conduit le lecteur à éprouver une certaine empathie et compassion pour cette femme injustement jetée en pâture à l’opinion publique moralisante. La plume de Jean-Luc Seigle est fluide, musicale et délicate. Il tient son lecteur en haleine du début à la fin du roman. Ce n’est pas un roman violent, même s’il est rendu sombre par la vie de son sujet. L’auteur ne cherche pas à faire du sensationnel, il travaille sur la psychologie de son héroïne. Il lève le voile sur les raisons pour lesquelles elle décida de se suicider. En faisant le choix de commencer son roman une fois Pauline Dubuisson exilée au Maroc, Jean-Luc Seigle ne s’attarde pas sur le procès en lui-même. Le choix de l’auteur est intéressant et offre une autre vision de cette femme détestée.

Conclusion

Je vous écris dans le noir est un roman d’une grande beauté, tant par l’écriture de son auteur que par la finesse du portrait réalisé. Je vous conseille vivement de le lire, il fait partie de mes gros coups de coeur littéraires de l’année. Il m’a également donné envie de lire le livre que Philippe Jaenada consacre à Pauline Dubuisson. La vie tumultueuse de cette femme énigmatique est passionnante. 🙂

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