Marc Dugain renoue avec ses thèmes de prédilection dans son dernier ouvrage, Ils vont tuer Robert Kennedy. Théories du complot, élites politiques corrompues assujettis aux intérêts mercantiles des Lobbies américains, machinations dictées par le seul intérêt particulier couplé à une volonté de puissance et surtout son obsession pour la dynastie Kennedy… Marc Dugain dresse un portrait au vitriol de l’Amérique des années soixante. Une Amérique pudibonde qui se prévaut de défendre la liberté de ses citoyens face à la menace communiste, et qui pour cela s’autorise à fouler toutes les valeurs morales sur lesquelles paradoxalement elle légitime son action. Il retrace l’histoire des États-Unis des années soixante, de l’élection de John Fitzgerald Kennedy – dit Jack Kennedy – à l’assassinat de son frère Robert. Toute ressemblance ou coïncidence avec des personnages réels n’est ni fortuite, ni involontaire. Puisque le narrateur n’est autre qu’un double à peine masqué de l’auteur. Marc Dugain fait se rencontrer la petite et la grande histoire. Au vue des circonstances troubles entourant le double suicide de ses parents, le narrateur décide de lever le voile sur la vérité et pour cela mène une enquête qui le conduira à étudier de prêt le funeste destin de la famille Kennedy. Ils vont tuer Robert Kennedy, est un roman foisonnant et passionnant, fruit d’un travail de recherche et de documentation considérable. Si certains auteurs pêchent par excès de zèle en submergeant le lecteur d’informations, Marc Dugain excelle dans l’art d’envoûter le lecteur et en fait un atout. Une fois entamé, impossible de le lâcher ! L’auteur a fait le choix d’une construction narrative lui permettant de mener de front deux histoires intimement liées et jongle avec maîtrise entre ses deux récits. Le ton est mordant, caustique, incisif mais jamais péremptoire. Il interroge les faits, sans jamais imposer ses idées, il laisse une totale liberté au lecteur. C’est un de mes coups de coeur de la rentrée littéraire, foncez !
La grande Histoire : une fresque politique de l’Amérique des années soixante
Marc Dugain s’évertue dans ce roman à retracer minutieusement le parcours chaotique de la famille Kennedy, sur laquelle semble planer le spectre de la mort. L’illustre famille va être décimée, les accidents, assassinats, maladies se succèdent, véritable malédiction. Sous la plume de Marc Dugain, la destinée des membres de cette famille n’est pas sans rappeler celles des héros tragiques de la Grèce antique. Doté d’une aura surnaturelle, Jack deviendra en 1960 le trente-cinquième président des États-Unis, sous la vigilance de son frère Robert qui l’assistera durant les trois années que durera son mandat. Il deviendra rapidement après son investiture l’ennemi numéro un du complexe militaro-industriel, en défendant une politique extérieure pacifiste, de la mafia en reniant ses origines et en traquant les anciens collaborateurs de son père Joe, et des services de renseignement. La thèse du tireur isolé ne fait pas le poids face à un tel faisceau de présomption. Marc Dugain réunie suffisamment d’éléments pour faire vaciller la thèse officielle. Il décortique les erreurs commises par les deux frères, qui ont conduit à l’assassinat de l’aîné à Dallas, images devenues tristement célèbres. La fougue de leur jeunesse et l’impunité qui découle de leur statut les a convaincu du bien fondé de leurs actions, ils laissent ainsi derrière eux des orgueils blessés et des carrières brisées. Le raisonnement de l’auteur est implacable, Lee Harvey Oswald n’est qu’un leurre construit de toute pièces par la CIA, qui a oeuvré dans l’ombre à la manière d’une triple alliance avec Johnson et J. Edgar Hoover – l’ancien directeur du FBI, qui y régna pendant près de cinquante ans en maître absolu. La mafia nourrie une rancune tenace à l’égard de Jack pour l’avoir assignée devant la justice. Aurait-il oublié les origines de la fortune familiale ? Jack et Robert font fi du passé familial trouble et s’engagent dans une lutte acharnée contre le crime organisé en créant une commission. Il semble donc fort probable pour l’auteur que la mafia ait participé de près ou de loin à l’assassinat du président.
« Au Texas, un obstacle se présente vertical, s’il persiste, on le couche à l’horizontal. » Johnson
La force du récit réside dans la façon qu’à l’auteur d’analyser chaque détail afin de faire émerger le déroulement exact des évènements. Il dissèque les liens entre chacun des figurants, les relations de connivence entre les politiques et l’industrie de l’armement, les intérêts en jeux lors de conflits armés. Il dénonce l’impérialisme américain :
[…] l’Amérique fait passer son impérialisme pour un tutorat bienveillant.
Le fossé entre la classe dirigeante et le peuple, et la condescendance avec laquelle la première considère le second sont au coeur des propos de l’auteur. Marc Dugain dans Ils vont tuer Robert Kennedy fait des États-Unis une république bananière qui n’a rien à envier à certains régimes autoritaires. Il évoque notamment la conception particulière qu’à l’Amérique de la démocratie.
La démocratie ne doit et ne peut s’exercer que dans un cadre qui défend scrupuleusement l’avidité d’une minorité, en laissant croire aux masses incultes qu’elle oeuvre pour un bien-être qui, sans son réalisme scrupuleux, serait livré à des idéologies liberticides.
Robert Kennedy survivra à la mort de son frère aîné et se trouvera par la suite dans une situation inextricable. Obligé de collaborer avec les assassins de son frère tout en maintenant un devoir de mutisme pour ne pas fragiliser le mythe. Marc Dugain déroule sa conception fine de l’histoire américaine sous une plume savoureuse. Il peint le portrait d’un homme qui sera constamment partagé entre la culpabilité de son héritage et la volonté de s’en démarquer.
La petite histoire : une enquête sur un double suicide aux circonstances douteuses
Marc Dugain a fait le choix d’une construction narrative lui permettant de mener de front deux histoires intimement liées. Dans son enfance, le narrateur a vécu un drame familial terrible. La version officielle atteste d’un double suicide. Sa mère se serait tirée une balle dans la tête en 1967, et son père l’aura suivi peu de temps après, et se serait donné la mort le jour de l’assassinat de Robert Kennedy, le 5 juin 1968, en précipitant sa voiture dans un ravin. Tout aurait pu s’arrêter là, mais le narrateur soulève de nombreuses interrogations insinuant le doute dans l’esprit du lecteur. Il semblerait que l’angle formé par le poignet de sa mère et l’arme n’aurait pas pu lui permettre de se donner la mort, deux hommes auraient été vus en train de roder autour du domicile familial quelques jours avant le drame, et la compagnie d’assurance refusant l’indemnisation en cas de suicide, verse la prime d’assurance à son fils. Or tout le monde sait bien qu’aucune compagnie d’assurance ne s’amuserait à indemniser ses clients sans que ceux-ci aient honoré leur part du contrat. Le narrateur remonte pas à pas le cours de son histoire et nous entraîne avec lui dans l’univers mystérieux des services secrets et de la diplomatie mondiale. La frontière entre la fiction et la réalité n’est jamais clairement définie mais là n’est pas l’important. On se laisse porter par cette histoire familiale inquiétante, où le père, psychiatre spécialiste de l’hypnose, se voit dans l’obligation de quitter la France pour échapper à un complot visant à le discréditer et croisera la route de celui qui aurait pu succéder à son frère.
Conclusion
Marc Dugain signe avec Ils vont tuer Robert Kennedy un roman savoureux, une lecture hybride entre le thriller familial haletant et un récit historique romancé. Si les propos tenus peuvent ne pas être partagés par le lecteur, en aucun cas l’auteur impose son avis de manière catégorique et sans l’étayer au préalable. L’écriture est extrêmement fluide et entraînante, ce qui n’était pas évident au vue de la quantité d’informations dispensée.
>>> RENTRÉE LITTÉRAIRE 2017 (#RL2017)
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