Les huit montagnes n’est pas seulement un des romans phares de cette rentrée littéraire, mais il est également le lauréat du Prix Strega 2017. Le Prix Strega est un prix littéraire italien prestigieux, équivalent de notre Prix Goncourt. Ce prix confirme le talent indéniable de Paolo Cognetti et consacre son roman, qui se veut une ode à la montagne. Le premier roman de Paolo Cognetti avait déjà été distingué par le prix Strega Giovanni en juin dernier – équivalent de notre Prix Goncourt des lycéens. Les huit montagnes est un texte pur, granitique, brut. Élevé par un père taiseux et solitaire, la quête d’identité de Pietro passera immanquablement par un travail d’acceptation. Pietro n’aura d’autres choix que de pardonner à son père son manque de tendresse et de communication pour pouvoir espérer atteindre le bonheur. Il devra pour se libérer, se réconcilier avec la figure paternelle exigeante et autoritaire de son enfance. Contre toutes attentes celui qui lui inocula l’amour de la montagne dès son plus jeune âge, sera celui qui le sauvera quelques années plus tard et le fera renouer avec le lieu de son enfance. Les huit montagnes, est avant tout un récit d’apprentissage, de transmission, de filiation. Puisque cet amour de la montagne Pietro le recevra en héritage, et apprendra par lui-même à l’apprivoiser par un processus naturel d’émancipation de la figure paternelle et de construction de l’identité. Le roman de Paolo Cognetti évoque le caractère indicible de l’amour filial, cette manière d’aimer sans jamais l’exprimer. Emprunt de poésie, ce récit est également celui d’une amitié indéfectible qui résistera au temps.
Résumé
« Quelque soit notre destin, il habite les montagnes au-dessus de nos têtes. »
Pietro est un garçon de la ville, Bruno un enfant des montagnes. Ils ont 11 ans et tout les sépare. Dès leur rencontre à Grana, au coeur du val d’Aoste, Bruno initie Pietro aux secrets de la montagne. Ensemble, ils parcourent alpages, forêts et glaciers, puisant dans cette nature sauvage les prémices de leur amitié. Vingt ans plus tard, c’est dans ces mêmes montagnes et auprès de ce même ami que Pietro va se réconcilier avec son passé – et son avenir.
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Le récit s’articule autour de trois parties. La première – mais également celle qui m’a le moins plue – renvoie à l’enfance. C’est la période de l’initiation du jeune Pietro aux joies que procure la montagne l’été. Le récit s’ouvre sur la rencontre entre Pietro et Bruno. Comme toute rencontre entre des garçons de onze ans, ils se jaugent, se mesurent. Bruno élevé dans les hauteurs, contraste avec Pietro qui vit toute l’année à Milan. Mais peu à peu l’hostilité initiale laissera place à une amitié naissante. Est-ce la pureté de l’air de la montagne qui confère à Bruno cette simplicité de l’être ? Puisque Bruno sait où est sa place et ne la remettra jamais en question. Il deviendra un point d’ancrage pour Pietro. Las d’accompagner son père lors de ses randonnées quotidiennes, Pietro ne trouve pas les mots justes pour lui annoncer qu’il souffre du mal des montagnes. Souffrant de nausées chroniques, ces expéditions deviennent de véritables calvaires. Un soir, Pietro trouve le courage d’annoncer à son père son refus de l’accompagner dorénavant dans ses marches en montagne. À partir de ce jour-là, chacun campera sur ses positions, le père blessé dans son orgueil, et le fils désirant s’émanciper de l’autorité parental. Cette première partie se clôt sur la distance qui s’installe entre le père et le fils, et la promesse de revoir un jour son ami.
Dans la seconde partie, le rythme s’accélère. Pietro renoue avec ses racines, part en quête de lui-même et entame un véritable processus d’identification. Pétris d’orgueil, Pietro et son père sont passés à côté l’un de l’autre. C’est pour remédier à ce gâchis que Pietro se lance sur les traces de son père. Cette deuxième partie est l’occasion d’une seconde chance. De lever le voile sur cet homme taiseux et solitaire, de pardonner. Paolo Cognetti trouve les mots justes pour exprimer avec poésie cette reconstruction affective. L’élément déclencheur est l’ultime geste du père. Un geste fort pour son fils, témoignage d’un amour certes masculin et sauvage mais incontestable. Comme son père avait pu le faire avant lui, Pietro part à la recherche des zones brumeuses de son passé en arpentant la montagne de son enfance.
C’était comme si en empruntant chaque année le même sentier, il se replongeait dans ses souvenirs et remontait le cours de sa mémoire. […] Il n’y a rien de mieux que la montagne pour se souvenir.
Il disait comme ça : l’été efface les souvenirs de la même façon qu’il fait fondre la neige, mais le glacier renferme la neige des hivers lointains, c’est un souvenir d’hiver qui refuse qu’on l’oublie. Je comprenais enfin ce qu’il voulait dire. Et je savais une bonne fois pour toutes que j’avais eu deux pères : le premier était l’étranger avec lequel j’avais habité pendant vingt ans, en ville, et coupé les ponts pendant dix autres ; le deuxième était mon père de montagne, celui que j’avais seulement aperçu et pourtant mieux connu, l’homme qui marchait derrière moi sur les sentiers, l’amant des glaciers. Cet autre père m’avait laissé une ruine à reconstruire. Je décidai alors d’oublier le premier, et de faire le travail qu’il attendait de moi en sa mémoire.
Conclusion
Les huit montagnes est une déclaration d’amour de l’auteur à la montagne. La beauté du texte réside dans ce qui est tu. Les non-dits, les émotions bruts font l’essence de ce roman. Malgré quelques longueurs dans la première partie du récit et la complexité du lexique montagnard – pouvant rendre la lecture fastidieuse pour les non-initiés – l’écriture de Paolo Cognetti fonctionne. Puissante, la plume de l’auteur évoque avec force et vitalité la solitude et le silence imposés par la montagne. Paolo Cognetti décrit à merveille cette atmosphère hors du temps, propice à la nostalgie et à la mélancolie.
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