Grande section est le premier roman d’Hadia Decharrière. L’auteure saisit l’occasion de ce premier roman pour nous livrer un récit autobiographique particulièrement délicat. Le lecteur est balloté entre le Moyen-Orient, la France et les États-Unis au gré des pérégrinations de cette famille globe-trotteuse. Ce témoignage bouleversant retrace la vie d’Hadia Decharrière jusqu’à ses six ans, soit, l’âge de sa fille qui fait sa rentrée en grande section de maternelle. C’est justement cet événement qui ravive les plaies non cicatrisées depuis l’enfance que l’auteure avait tenté en vain de colmater ou tout du moins d’ignorer pendant des années. En accompagnant sa fille en grande section de maternelle, l’auteur replonge dans ses souvenirs empreints de nostalgie et de tristesse. Elle évoque avec pudeur la mort d’un père partit trop tôt et la douleur incommensurable dont l’intensité n’a pas diminué malgré le temps écoulé. Si cette douleur reste toujours aussi vive trente ans plus tard, c’est peut-être que tout simplement le temps ne rendra pas plus acceptable ce qui est insurmontable pour une enfant de six ans. Cette chronique est pour moi particulièrement délicate à réaliser puisque j’ai conscience que ce roman est à la fois délicat et émouvant, néanmoins ce qui est le risque d’un récit autobiographique c’est qu’il garde le lecteur à distance et c’est malheureusement ce que j’ai ressenti. Je ne me suis pas sentie concernée par le parcours de cette famille. Les problématiques évoquées me sont restées hermétiques et n’ont pas fait écho en moi. J’ai apprécié cet ouvrage certes, mais ce n’est pas un coup de coeur. Ce qui est pourtant paradoxal vous me l’accorderez 😉 c’est que je le recommande tout de même car je crois sincèrement que ce type de récit sera perçu différemment en fonction de la sensibilité de chacun et de son vécu.
Résumé
« Ma fille n’aura pas la même grande section que moi. Pour elle la grande section sera ce qu’elle est supposée être, la récré avant le CP, l’inspiration avant le plongeon, le calme avant la tempête. »
Septembre 2014, une mère accompagne sa fille le jour de la rentrée des classes. Subitement, ses 6 ans se rappellent à elle : de septembre à juin, elle revit ces quelques mois entre la Syrie et les États-Unis, ses souvenirs de France, ces instants où tout a basculé.
Que reste-t-il de l’enfance ?
JC Lattès
Une enfance désorientée, un témoignage émouvant
Hadia Decharrière est née en 1979 au Koweït. Koweït qu’elle quittera l’année de sa naissance pour le sud de la France. Précédemment, ses parents durent fuir Beyrouth l’année où éclata la guerre du Liban, soit en 1975. Hadia Decharrière évoque Beyrouth et le Koweït avec une certaine distance puisqu’elle ne se rendra jamais à Beyrouth, même adulte, et qu’elle quittera immédiatement après sa naissance le Koweït. Beyrouth, cette ville où ses parents vécurent leurs premières années en tant que couple marié, restera de l’ordre de l’imaginaire. Ce refus catégorique de s’y rendre, n’est-il pas le fruit d’un désir enfantin de ne pas toucher aux souvenirs que l’on s’imagine heureux ? L’auteure ne se rendra au Koweït que quelques années plus tard et évoque dans Grande section ce lien si particulier qui la lie à son lieu de naissance. Comme si se rendre sur son lieu de naissance sans pour autant y avoir véritablement vécu pouvait faire affleurer des émotions enfouies et inconscientes. En 1979, sa famille émigre en France, à Cannes sur la côte méditerranéenne. Les premières années de la vie de l’auteure entre le Koweït et le sud de la France sont décrites comme heureuses. Les affaires de son père s’avèrent fructueuses, son succès ne se dément pas et son ascension au sein des affaires familiales est fulgurante. La mission que celui-ci s’est donnée de protéger sa famille est pleinement remplie.
Au succès succédera la déchéance, à la liberté l’emprisonnement. C’est ainsi, que les années noires commenceront. Des années marquées par des déménagements successifs pour Damas, les États-Unis et enfin la France.
Normalement, quand on change de pays, on est accompagné de l’espoir d’y trouver un futur meilleur. Que l’on y soit contraint ou qu’on l’ai envisagé en toute liberté, vivre ailleurs ouvre de nouveaux horizons et donne naissance à des possibilités inédites. réfugiés fuyant les persécutions sanguinaires, expatriés s’éloignant des impositions trop sévères, migrant délestant le passé pour l’avenir, que leur combat soit impératif ou superflu, profond ou superficiel, prosaïque ou spirituel, l’espérance demeure, et accompagne chacun. Au cours de sa vie, mon père fut un peu tout ça à la fois. il quitta l’archaïsme syrien pour la modernité de Beyrouth, fuit la guerre civile libanaise pour la paix koweïtienne, abandonna son passé oriental pour la réussite occidentale, retourna au pays panser ses plaies, puis malgré lui, dut se préparer à effectuer un dernier voyage, contraint et inconnu.
Le message d’amour d’une petite fille à son papa
Hadia Decharrière évoque avec pudeur et douceur ce père partit trop tôt, alors âgé de 43 ans. Grande section est le témoignage de cette petite fille qui s’adresse à son papa. Elle dénonce ce sentiment d’injustice qu’éprouve une enfant de 6 ans privé de son repère et obligée de grandir sans père. Ce cri du coeur, cette frustration m’a touché. L’auteure aborde avec humour et sans jugements de valeur les particularités, limites et parfois défaillances de ses parents.
Hadia Decharrière mentionne avec humour et subtilité les antagonismes culturels et idéologique entre l’Orient et l’Occident qui déchirent son père :
Maman, délestée de sa mélancolie stuporeuse sera de nouveau heureuse ; elle vivra avec tes modernités et tes orientalistes, ces jumeaux ambivalents qui coexistent comme ils peuvent. Tu es syrien, mais tu veux vivre comme dans une chanson de Joe Dassin. Tu n’es pas pratiquant, mais nous ne mangeons pas de porc. Tu n’es pas croyant, mais tes filles et épouse portent les cheveux courts. Tu habites à Damas, et tes enfants sont scolarisés à l’école française.
Elle décrit avec lucidité et poésie une mère effacée mais aimante, présente tout en étant absente. Une mère qui lorsque son pilier sera emporté par la maladie abandonnera la partie et n’aura la force que de se maintenir en vie. Elle aurait pu lui en vouloir de ne pas s’être plus investie dans sa vie, de ne pas avoir trouvé la force de puiser dans ses réserves pour se lever de son lit. Mais Hadia Decharrière fait preuve d’une profonde empathie et d’une capacité d’analyse sur sa propre famille hors norme. Elle conçoit que cette femme dès son plus jeune âge contrainte au silence et à la soumission n’aie plus la force de porter sa famille après le départ de celui qui lui avait tant apporté.
On n’aborde pas non plus la fatigue de maman qui ait aussi fort que la Belle au bois dormant, elle ne sort plus de son lit, elle n’en sortira pas pendant douze ans.
Hadia Decharrière a, jusqu’à la rédaction de ce témoignage, fait preuve d’une très grande résilience. Sans se plaindre elle a su composer avec ce qu’elle avait et se construire une « belle » vie. À trente-six ans l’auteure dispose d’une situation professionnelle stable – étant devenue chirurgien-dentiste – et d’une situation familiale enviable – mariée à l’homme qu’elle a connu adolescente et de cette union est née une petite fille. Avec ce roman elle marque un tournant et décide d’entamer un véritable travail de deuil. Elle ne tente plus d’étouffer les souvenirs qui la submergent sans prévenir et l’empêchent de vivre librement. Faire revivre de tels souvenirs d’enfance demande un courage incroyable et c’est cela que je salue à travers ce témoignage.
Une construction décousue
Je pense que la construction de l’ouvrage explique en grande partie la difficulté que j’ai éprouvée à entrer dans le roman. En effet, j’avais l’impression de suivre le cours des pensées de l’auteure, de passer d’un souvenir à un autre sans corrélation particulière. J’avais le désagréable sentiment de passer du coq à l’âne. Page 157 vous trouverez un exemple concret illustrant mon propos. Hadia Decharrière y mentionne la douleur qu’elle ressent lorsqu’on évoque le cancer – liée à son histoire familiale – puis, sans aucune transition, bifurque sur la chute du mur de Berlin !? Il y a de quoi être décontenancé. Je ne vois pas vraiment ce que l’effondrement du mur de Berlin vient faire là, ni ce qu’il apporte au propos de l’auteure. Je déplore également les retours en arrière successifs qui à défaut de structurer la lecture la rende laborieuse. À certains moments je ne savais plus si nous étions en France, au Liban, en Syrie ou au Koweït. Ce manque de construction entraîne des répétitions, ce qui alourdit considérablement le récit selon moi. Ce que je déplore c’est le manque de repères spatio-temporels. Dans un récit autobiographique où les lieux se succèdent, ces repères sont indispensable pour faciliter la lecture.
Conclusion
Vous l’aurez compris mon avis est mitigé concernant ce roman autobiographique. D’un côté j’ai été touchée par le message d’amour que l’auteure adresse à son père et impressionnée par la lucidité dont elle fait preuve lorsqu’elle évoque sa mère mais d’un autre côté j’ai trouvé la construction décousue. Je n’ai pas été happée par le roman et malgré mes efforts, je suis malheureusement restée à distance du récit. Pour être tout fait sincère j’ai trouvé Grande section un peu brouillon. 🙁 Néanmoins, je le répète je le conseille toute même. Je pense que chacun l’abordera différemment en fonction de son histoire familiale et de son vécu.
PREMIER ROMAN
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