COUPS DE COEUR

Fugitive parce que reine, Violaine Huisman : un portrait de mère d’une beauté inouïe

3 janvier 2018
booksnjoy-Fugitive parce que reine, Violaine Huisman : un portrait de mère d'une beauté inouïe

Violaine Huisman signe un premier roman magistral, d’une beauté inouïe. Roman qu’elle consacre à sa mère, Catherine. Mère excessive, fantasque, instable, indubitablement défaillante mais terriblement aimante. Écrire sur la figure maternelle, sujet galvaudé me direz-vous ? Maintes et maintes fois rebattu en littérature. De la mère dévouée vouant un culte à son fils chez Romain Gary, à la mère indigne décrite par Hervé Bazin, à la mère autodestructrice racontée plus récemment par Delphine de Vigan, la littérature regorge de descriptions de figures maternelles. Fugitive parce que reine était donc un pari osé, remporté avec succès. Violaine Huisman s’essaye à un exercice périlleux, qu’elle relève haut la main en évitant tous les écueils. Dans ce roman elle interroge, en filigrane, la question de l’identité féminine. Une identité supplante-t-elle une autre ? L’amante doit-elle s’effacer devant la mère ? Le désir avilie-t-il la figure maternelle ? Catherine n’aura de cesse que de jongler avec la multiplicité des facettes qui définissent une femme, sans pour autant réussir un jour à les concilier. Tour à tour femme fatale, amante audacieuse, épouse soumise, mère attentionnée et dépassée. Catherine, née Cremnitz, ne portera pas moins de sept noms différents. Toute sa vie, elle sera tiraillée par la question de son identité. Issue d’un viol, à une époque où l’avortement n’était pas légalisé. Enfant non désiré. Elle naît un 1er avril, comme un clin d’oeil du destin. Ses premières années, c’est à l’hôpital Necker qu’elle les passera, alors atteinte d’une maladie infantile. Par la suite diagnostiquée maniaco-dépressive. Marquée par la sécheresse d’une mère revêche, elle tentera dans les bras des hommes de combler ce manque affectif. Violaine Huisman raconte sa mère, ses lacunes affectives inapaisables qui ont laissé une empreinte indélébile. Elle nous offre un premier roman fulgurant, un destin de femme – avide d’amour, sublime et tragique, rattrapée continuellement par un passé trop lourd à porter. Le tout dans une langue exquise qu’on savoure avec délectation. Roman à découvrir d’urgence !

Un portrait psychologique saisissant

Le plus ardu dans ce type d’exercice littéraire consiste à trouver la distance adéquate avec le sujet. Écrire sur sa mère pose évidemment le problème de la mise en perspective. Cela touche intimement l’auteur. Il faut s’assurer de ne pas se laisser submerger. Essayer de faire preuve de neutralité. Ne pas laisser la subjectivité interférer, ce qui pourrait in fine altérer l’authenticité du propos. Le nuancer à l’extrême, pour finalement le dénaturer. Le projet de Violaine Huisman n’est en aucun de cas de fustiger l’éducation que sa sœur aînée et elle ont reçue. Puisque si elles ont grandi dans une famille que les adultes s’évertuent à torpiller joyeusement, de l’amour elles en ont reçu. Maladroitement mais généreusement. D’un père aux abonnés absents et d’une mère psychologiquement fragile. Dans la seconde partie de l’ouvrage, Violaine Huisman révèle les fêlures sur lesquelles sa mère s’est construite. Un terrain friable, qui au premier coup de vent s’effrite, faisant basculer Catherine dans les limbes de la folie. Seul l’amour qu’elle éprouve pour ses filles pourra alors la faire sortir de sa torpeur. Comme une béquille, sa mythomanie elle ne l’a développé que pour occulter voire sublimer ce qui était insupportable. Alors Catherine s’invente, oscille dangereusement d’un excès à l’autre. C’est cette exubérance qui est relatée ici. Cette propension à l’hubris. Une vie de famille rythmée au gré des humeurs d’une femme instable. Partagée entre sa vie de femme et son rôle de mère.

Un récit biographique honnête et émouvant

L’auteure porte un regard honnête sur sa mère, dénué de ressentiment. Consciente de ses faiblesses, elle fait preuve de bienveillance à son égard et ne lui fait pas grief de son inaptitude à offrir un cadre familial stable et apaisant. Au contraire, il émane de ce texte une empathie profonde et sincère de la part de l’auteure à l’égard de sa mère. Fugitive parce que reine est un récit bouleversant, et une très belle manière de rendre hommage à celle qu’elle et sa sœur appelaient « maman chérie que j’aime à la folie pour toute la vie – et pour l’éternité du monde entier ».

Conclusion

Violaine Huisman parvient avec brio à se délester de sa subjectivité pour raconter sa mère. La comprendre, se mettre à sa place et imaginer au vue de son passé le défi qu’à pu être sa vie. Partie avec les mauvaises cartes en main, elle a pourtant su transmettre tout l’amour dont elle était capable à ses filles. Ce roman est un énorme coup de cœur. Au-delà du talent indéniable de l’auteure en tant que conteuse, il faut souligner la beauté de la langue. Vous ne pouvez pas passer à côté de cet ouvrage de la rentrée littéraire 2018 ! 😉

2 Comments

  • Reply Simonnot Maud 4 janvier 2018 at 12 h 12 min

    Merci beaucoup pour cette magnifique chronique. Il n’y a pas de plus grande joie pour un éditeur que de voir son enthousiasme ainsi partagé…
    Maud

    • Reply Books'nJoy 4 janvier 2018 at 12 h 19 min

      C’est moi qui vous remercie de m’avoir permis de découvrir ce premier roman formidable et donc de commencer l’année 2018 avec des étoiles plein les yeux 😀 Je vais suivre cette auteure de très près, en espérant qu’elle ne s’arrête pas en si bon chemin !

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