Je ne vois pas comment je pourrais commencer cet article sans d’emblĂ©e annoncer la couleur : le roman Un fils parfait de Mathieu Menegaux est une petite merveille, un joyau, un diamant brut !!!! đ C’est un roman coup de poing, aucun lecteur ne peut sortir indemne de sa lecture. L’auteur aborde un sujet tabou, l’inceste, avec finesse et dextĂ©ritĂ©. Le sujet est omniprĂ©sent, tout le roman se construit autour de ce terrible drame familial, mais Ă aucun moment je n’ai Ă©tĂ© Ă©coeurĂ©e par ce que je lisais, car l’auteur a su trouver les mots justes, il maĂźtrise du dĂ©but Ă la fin son rĂ©cit, de telle sorte qu’il fait mouche sans basculer dans le pathos. C’est lĂ que rĂ©side la force de ce roman et de son auteur ! On assiste au combat livrĂ© par une mĂšre pour protĂ©ger ses enfants contre un pĂšre manipulateur et une justice inepte. L’auteur nous plonge dans les affres de l’engrenage judiciaire. On asphyxie face Ă l’injustice de la situation, injustice qui devient de plus en plus oppressante au fil des pages.
Résumé
Maxime, enfant unique d’Ălise, a tout du fils parfait : brillantes Ă©tudes et carriĂšre fulgurante ; c’est un mari aimant comme un pĂšre attentionnĂ©. Un jour, sa femme DaphnĂ© va dĂ©couvrir la faille dans ce tableau idyllique. Le conflit est inĂ©vitable : il sera sans merci. Jusqu’oĂč une mĂšre doit-elle aller pour protĂ©ger ses filles et faire valoir ses droits, alors que personne n’accepte de la croire  ? InspirĂ© d’une histoire vraie, Mathieu Menegaux nous livre ici le rĂ©cit du combat d’une mĂšre contre la machine judiciaire.
Grasset
L’histoire
Le sujet de l’inceste est relativement peu abordĂ© en littĂ©rature. Je n’avais jamais eu l’occasion de lire un roman qui le traitait de façon aussi directe. Dans le magnifique roman Rien ne s’oppose Ă la nuit de Delphine de Vigan, ce sujet est abordĂ© sans ĂȘtre pour autant dĂ©cortiquĂ©. Ici, l’intrigue rĂ©side dans le combat acharnĂ© de la mĂšre, qui plus ou moins maladroitement, tente de protĂ©ger ses filles d’un pĂšre dĂ©moniaque. Comme je l’ai dit plus haut, certes le thĂšme de l’inceste est omniprĂ©sent mais il n’est pas pesant. On se concentre bien plus sur la lutte de la mĂšre que sur les dĂ©tails des crimes du pĂšre. On assiste Ă la mise en branle de l’engrenage judiciaire qui resserre son Ă©tau autour de la mĂšre, soit l’unique figure protectrice qu’il reste aux fillettes. La justice ne sort pas grandie de ce roman. On dĂ©couvre par exemple, qu’il suffit de faire une excellente impression pendant une audition pour ĂȘtre lavé de tout soupçon et ainsi obtenir la garde pleine et entiĂšre des enfants dont on abuse, chapeau bas la justice ! Lorsqu’une femme tente de se dĂ©gager des pattes de son mari pervers, et qu’elle le gifle, celle-ci encourt une peine de prison pour coups et blessures. La gifle ayant Ă©té donnĂ©e dans le cadre familial, elle relĂšve par consĂ©quent directement du pĂ©nal !! On nage en plein cauchemar. On apprend qu’un mari potentiellement coupable d’actes dĂ©placĂ©s trĂšs graves Ă l’encontre de ses enfants, peut faire pression en activant ses contacts pour que sa femme soit envoyĂ©e en hĂŽpital psychiatrique pendant plusieurs semaines sans aucun contact avec l’extĂ©rieur. Sous prĂ©texte que celle-ci, plus jeune avait Ă©tĂ© en proie Ă des phases d’anorexie. On est ravi de l’apprendre, c’est tout Ă fait rassurant.
« Moi j’Ă©tais jetĂ©e aux oubliettes, transfĂ©rĂ©e de geĂŽle en geĂŽle, objet de mandat de recherches, je mobilisais un procureur, un commandant de police, l’I3P, les psychiatres de l’hĂŽpital et pour un viol sur mes filles l’enquĂȘte allait commencer ? Selon que vous serez puissant ou misĂ©rable, les services de l’Ătat prĂȘteront foi Ă vos allĂ©gations ou piĂ©tineront vos droits les plus Ă©lĂ©mentaires […] j’allais dont ĂȘtre jugĂ©e pour les faits de violence conjugale que j’avais avouĂ©s, le procĂšs aurait lieu dans dix semaines et d’ici lĂ j’allais ĂȘtre placĂ©e sous contrĂŽle judiciaire. »
Autre dĂ©couverte intĂ©ressante, l’inceste en tant que tel n’existe pas dans le code pĂ©nal français, contrairement Ă d’autres pays oĂč il fait l’objet d’une condamnation particuliĂšre.
« La seule loi qui permettait de punir Maxime serait celle qui dĂ©finit le viol et l’agression sexuelle, ainsi que les relations sexuelles avec des mineurs de moins de quinze ans. Maigre consolation me disais-je, les peines encourues sont aggravĂ©es si les faits ont Ă©tĂ© commis « par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autoritĂ© de droit ou devoir. »
Cette lacune de la lĂ©gislation française m’a profondĂ©ment choquĂ©e, comment peut-on mettre sur le mĂȘme plan une agression sexuelle et un inceste ? Les consĂ©quences psychologiques sont tout de mĂȘme diffĂ©rentes. L’impact dans le cadre familial, implique nĂ©cessairement un traumatisme d’une autre nature que celui provoquĂ© par un inconnu. Je ne me prĂ©tends pas psychologue ou psychiatre, mais toute personne dotĂ©e d’un peu de jugeote est capable de tenir ce raisonnement.
« Un violeur, un agresseur, c’est un salaud, une ordure, un pauvre type, un malade; alors qu’un coupable d’inceste, c’est un monstre, un individu dont toute la sociĂ©tĂ© veut se dĂ©barrasser et se protĂ©ger. Mais non. Contrairement Ă beaucoup de nos pays voisins, il n’y a pas d’inceste en, France, notre sociĂ©tĂ© refuse d’admettre que cela existe et combien c’est plus grave encore que le viol. »
Ainsi, les deux chefs d’inculpation possibles sont soit l’agression sexuel, soit le viol. Je passe les nuances sordides Ă dĂ©montrer pour faire valoir l’un plutĂŽt que l’autre… Sachant, je le prĂ©cise qu’il faut Ă©galement prouver que les fillettes ne sont pas consentantes !! Je me demande sincĂšrement, si les lĂ©gislateurs Ă©taient en pleine possession de leurs moyens lors de la rĂ©daction de ce texte de loi…
Choix de la focalisation interne
Le drame nous est contĂ© Ă travers les yeux de DaphnĂ©, qui Ă©crit une lettre Ă son ex belle-mĂšre, soit la mĂšre de Maxime. Pour rappel, la focalisation interne implique une vision limitĂ©e et subjective. Le narrateur n’est pas omniscient et ne possĂšde pas le don d’ubiquitĂ©, il lui est impossible de connaitre les sentiments des autres protagonistes. Le choix de cette construction est particuliĂšrement judicieux, puisqu’il permet Ă la fois de garder des zones d’ombre, et Ă la fois d’ĂȘtre au plus prĂšs de DaphnĂ©. De partager son angoisse maternelle.  Ainsi, nous n’avons pas connaissance des diffĂ©rentes procĂ©dures enclenchĂ©es aprĂšs la plainte dĂ©posĂ©e par DaphnĂ©. On apprendra au mĂȘme moment qu’elle, quelles sont les mesures et dispositions prises vis-Ă -vis des ses filles et de son mari. Les actions de Maxime, les mots qu’il emploie auprĂšs de ses filles pour les manipuler et les empĂȘcher de tĂ©moigner contre lui, nous seront passĂ©s sous silence. De mĂȘme, la maniĂšre dont il s’y est pris pour activer les rouages de la machine judiciaire Ă l’encontre de son Ă©pouse, ne nous sont pas rĂ©vĂ©lĂ©s. Cette ignorance renforce la frustration et l’angoisse que l’on partage avec DaphnĂ©. C’est terrible de ne pas savoir, de ne pas voir. On suit DaphnĂ© Ă travers les mĂ©andres d’une justice aveugle et discriminatoire, qui protĂšge les violeurs et condamne les victimes.
Un style poignant, sec et tranchantÂ
J’ai trouvĂ© que cet auteur s’inscrivait dans la mĂȘme veine que LeĂŻla Slimani ou encore Stefan Zweig – qui, je le rappelle pour ceux qui ne le savent pas encore, est mon auteur prĂ©fĂ©rĂ©. đ On a Ă faire Ă une Ă©criture blanche, dĂ©nuĂ©e de pathos, d’emphase, sans aucun artifice, c’est ce qui rend le roman si poignant. Je suis une grande amatrice de ce type de littĂ©rature. Je trouve que le roman gagne en intensitĂ© et en profondeur Ă ĂȘtre Ă©crit de maniĂšre brute et directe. L’apprĂ©ciation est laissĂ©e entiĂšrement au lecteur, Ă lui d’interprĂ©ter, il n’est pas influencĂ© par des effets de style. L’Ă©criture Ă©purĂ©e donne du relief aux personnages, elle marque les contours, renforce les contrastes.
Les personnages : une vision manichéenne
Les parents renvoient Ă Â une vision quelque peu manichĂ©enne du monde. En effet, DaphnĂ© incarne une mĂšre courage prĂȘte Ă tout pour sauver ses enfants et Maxime un odieux pervers, manipulateur de surcroĂźt. Pour autant, cela aurait pu faire basculer le rĂ©cit dans le cliché de la mĂšre seule face Ă tous, poncif rĂ©current en littĂ©rature et sur grand Ă©cran, mais ce n’est absolument pas le cas, bien au contraire. DaphnĂ© est sublime dans son rĂŽle de mĂšre, j’y ai totalement cru. Je me suis laissĂ©e entrainĂ©e avec elle dans les soubresauts de la machine judiciaire, et les coups tordus de son mari. Elle reste forte face Ă l’adversitĂ©, ne s’apitoie pas sur son sort et continue d’y croire. C’est un trĂšs beau personnage que nous dĂ©peint Mathieu Menegaux. Maxime, lui, incarne le mal, la perversitĂ© tapie derriĂšre un personnage qu’il a construit de toutes piĂšces, de pĂšre modĂšle et d’Ă©poux attentionnĂ©. Il fait froid dans le dos. D’ailleurs, j’en profite pour faire le parallĂšle avec le roman Chanson Douce de LeĂŻla Slimani, dans lequel on avait Ă©galement cette asymĂ©trie d’information entre les individus d’une mĂȘme famille. Ce manque d’information qui entraĂźne la cellule familiale vers l’explosion. Cela s’explique par l’aveuglement, le manque d’attention et la confiance que l’on accorde à une tierce personne. Cette confiance DaphnĂ© la donne Ă son mari, et il semble inconcevable que celui-ci n’en soit pas digne, comment aurait-elle pu se mĂ©fier ?
Conclusion
Vous l’aurez compris je pense, j’ai adorĂ© ce livre đ Je l’ai lu d’une traite, impossible de le lĂącher. Je ne peux que vous conseiller d’aller vous le procurer et de vous plonger dedans, car peu d’Ă©crivain sont dotĂ©s d’un tel talent.
>>> Pour dĂ©couvrir le premier roman de Mathieu Menegaux, c’est par ici !
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