« Certains mots sont capables de faire fondre la glace qui enserre le cœur […] Pourtant, à eux seuls, ils ne suffisent pas et nous nous égarons sur les landes désolées de la vie si nous n’avons rien d’autre que le bois d’un crayon auquel nous accrocher. » Chaque nuit, depuis plus de mille ans, les pêcheurs à la morue d’un petit village islandais se lèvent, la mine encore brouillée et l’esprit embrumé, pénètrent au cœur de l’obscurité, et partent fendre les eaux noires du fjord sur leur coquille de noix. Pris en étau entre deux immensités : le ciel brumeux qui aspire les cimes des massifs montagneux, et la mer qui les nourrit, prenant régulièrement son tribut lorsqu’elle en avale certains d’entre eux, ils s’en remettent à Dieu. Cette nuit-là, Bardur aurait dû se montrer plus précautionneux, trop occupé qu’il était à fixer dans son esprit des strophes de poésie, il a laissé sa vareuse sur son lit. Un oubli fatal qui lui coûte la vie. La poésie tue. Bardur a oublié que, si une vie qui en est privée sonne creux, les mots ne suffisent pas à vous protéger. Saisie par le froid polaire, la silhouette sans vie de Bardur gît pétrifiée et recroquevillée dans un coin de l’embarcation, sous le regard démuni de son meilleur ami. Revenu à quai, le gamin, encore ému de la scène du matin, revoit son ami étendu sur son lit avec à la main Le Paradis perdu de John Milton. Recueil dont le titre augurait ce qu’une poignée d’heures plus tard allait lui être ôté. Assailli par de sombres pensées et tenté de laisser les ténèbres l’envelopper pour retrouver la paix, le gamin entame une traversée pour rendre au vieux capitaine aveugle le livre qui a tué son ami. Il erre, incertain, questionnant inlassablement ce qui le rattache à la vie. Constellée de réflexions philosophiques et ontologiques, Entre ciel et terre est une quête existentielle envoûtante et poétique. Jón Kalman Stefánsson retrace le cheminement sensible que chacun fait, lorsqu’il a effleuré la mort de près, et embrasse la lutte entre la lumière et les ténèbres qui se joue alors à l’intérieur de nous.
Mon évaluation : 4/5
Date de parution : 2010. Grand format aux Éditions Gallimard, poche aux Éditions Folio, traduit de l’islandais par Éric Boury, 272 pages.
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