Croire au merveilleux s’inscrit dans la suite de son précédent roman Plonger (2013). Christophe Ono-Dit-Biot avait déjà mis la barre très haut avec Plonger, lauréat du Grand prix du roman de l’Académie française 2013 et du Prix Renaudot des Lycéens la même année. Avec Croire au merveilleux il récidive. Devenu veuf, César ne se remet pas de la disparition de Paz. Morte noyée, la mère de son fils hante ses pensées. Croire au merveilleux est le roman d’une résilience, d’une renaissance. Celle d’un homme qui ayant perdu la femme qu’il aime, ne parvient pas à incarner une figure paternelle stable pour son fils. Fils dont les traits lui rappellent ceux de Paz. Cette ressemblance troublante empêche l’auteur de faire abstraction de la mort de sa compagne pour se consacrer pleinement à son fils. César, véritable esthète, entamera par le biais d’une rencontre appariée à son goût pour la culture gréco-latine un processus de deuil. D’une grande érudition, Christophe Ono-Dit-Biot nous emporte dans un récit où l’art, la mythologie antique, les paysages…ont des vertus thérapeutiques et sauvent les âmes égarées portant le poids d’un grande souffrance. Roman solaire d’une grande sensualité Croire au merveilleux est, sans mauvais jeu de mots, tout simplement merveilleux !! 😉
Résumé
« Je veux bien avoir été distrait ces temps-ci, mais je sais que si j’avais croisé cette fille-là dans l’ascenseur ou le hall d’entrée, je m’en serais souvenu. Et puisque je me souviens d’elle, c’est que je l’ai vue ailleurs. »
César a décidé de mourir. Mais une jeune femme sonne à sa porte et contrarie ses plans. Étudiante en architecture, grecque, elle se prétend se voisine, alors qu’il ne l’a jamais vue. En est-il si sûr ? Pourquoi se montre-t-elle si prévenante envers lui, quadragénaire en deuil de Paz, la femme aimée, persuadé qu’il n’arrivera pas à rendre heureux l’enfant qu’ils ont eu ensemble, et qui lui ressemble tant ? Pourquoi est-elle si intéressée par la bibliothèque d’auteurs antiques ? D’un Paris meurtri aux rivages solaires de l’Italien passant par quelques îles proches et lointaines, Croire au merveilleux, en dialogue intime avec Plonger, est l’histoire d’un homme sauvé par son enfance et le pouvoir des mythes. Un homme qui va comprendre qu’il est peut-être temps, enfin, de devenir un père. Et de transmettre ce qu’il a de plus cher.
Gallimard
Les vertus thérapeutiques de l’art et de la culture
Plus les années passent, plus j’ai l’impression d’être le dernier de mon espèce. À me brancher à la source antique, à avoir en tête les histoires de Thésée et d’Achille, à en tirer un usage pour aujourd’hui. Les histoires de kaïros, la culture du monde ancien. L’humanisme. Les mythes […] Qui apprendrait désormais que « l’homme est un animal doué de logos », et que ce logos, c’est-à-dire sa façon non seulement d’articuler, mais de s’articuler face au monde, était ce qui le séparait de l’animal. Qui aurait la chance de se voir enseigner que le plus important est de sculpter sa capacité à s’étonner – thaumazeïn -, commencement de la sagesse, de se forger un esprit critique mais aussi imaginaire […] Ça aidait quand même à vivre, tout ça, non ? À s’ouvrir à l’autre.
Dans la même veine que Plonger, l’auteur distille savamment sa connaissance de la culture gréco-latine. Les références antiques n’alourdissent en rien le roman, qui gagne au contraire en densité. Elles sont parfaitement imbriquées dans le récit. Cette particularité de l’auteur donne à son style un cachet particulier, une marque distinctive. César, désespéré, entame un pèlerinage dans les lieux qui ont hébergés leur amour, avec pour mission de réparer une statue de nageuse à laquelle Paz accordait une grande valeur affective. Espérant ainsi que la langue de son ex compagne se délie et qu’elle apporte enfin une réponse à la question obsédante qui ne le quitte plus. Paz avait-elle l’intention de revenir de ce tragique voyage et de rentrer auprès de son compagnon et de son fils ? Question frustrante qui reste en suspens puisque la seule détentrice de la réponse ne peut y répondre.
Est-ce que c’est ça le deuil ? Être confronté au silence ? Se fracasser constamment contre le mur de l’absence ?
À la manière d’Orphée qui alla chercher son épouse Eurydice dans le royaume d’Hadès, César tente de ramener Paz à la vie en se rendant sur les lieux où ils se sont aimés. En proie à un mélange de tristesse, de culpabilité et de douleur sourde, César ne trouve refuge que dans le monde imaginaire de la littérature. Monde merveilleux où rien n’est figé et tout est encore possible, il apaise ses tourments.
Seuls les livres arrivent à me calmer, le jour, la nuit, quand le fantôme revient. Seuls les personnages anciens savent parler à mon coeur, là où les vivants échouent.
Mes jambes sont lourdes, mon coeur ralentit…
Les Grecs appelaient cela l' »ataraxie ». L’absence de troubles.
Ses requêtes restant lettres mortes et face au mutisme de Paz, seule l’intervention de sa voisine Nana lui permettra de s’en sortir. Grecque, partageant son érudition et son goût pour cette culture, elle éveillera sa curiosité et son désir. Le retour de sensations et d’émotions qu’il pensait disparues, lui redonnera espoir. C’est le fait de renouer un contact humain qui va le sortir de sa torpeur. Nana, qu’il est persuadé d’avoir déjà vue au cours de l’un de ses voyages, l’intrigue et le réveille.
Roman solaire d’une très grande sensualité
Christophe Ono-Dit-Biot nous fait voyager à travers des paysages solaires, de la côte Amalfitaine (Italie), à l’île de Teshima au Japon en passant par Majorque… Les paysages défilent et nous en mettent plein la vue. L’écriture sensuelle et envoûtante de l’auteur nous donnerait presque l’impression de ressentir la chaleur du soleil de l’Italie et l’air iodé de la Méditerranée. De plonger dans cette mer témoin des civilisations disparues où derrière la roche l’on peut découvrir un temple dédié aux sirènes. Christophe Ono-Dit-Biot sublime par une écriture poétique et délicate le corps de la femme. Et parvient à transformer l’indicible en conte pour enfant. Ainsi, lorsque son fils lui demandera où se trouve sa mère, il lui répondra dans le fond des océans mais également dans la tête de tous ceux qui l’ont aimée et pour qui elle a compté « comme un nuage ». Croire au merveilleux, tout comme Plonger, est une invitation au voyage. À se laisser griser par les plats méditerranéens, le vin, la chaleur du sud, les paysages hors du temps de la côte Amalfitaine où des montagnes abruptes donnent sur la mer Tyrrhénienne et où Ulysse rencontra jadis les Sirènes. Imaginez la plus belle côte de l’Italie – classée au patrimoine mondiale de l’Unesco, des paysages sauvages plongeant vers la mer et une végétation luxuriante. Des petits villages à flanc de falaises surplombant la mer et uniquement accessibles par des routes étroites et sinueuses. Christophe Ono-Dit-Biot excelle dans l’art de décrire ces paysages magiques, cadres de la mythologie antique. N’est-ce pas le propre d’un grand auteur de nous couper de la réalité, de nous dépayser ?
Conclusion
Croire au merveilleux est un hymne à la vie. L’auteur nous prouve que même lorsque l’on pense n’avoir plus rien à découvrir, être une coquille vide, certaines choses peuvent encore nous toucher et nous émouvoir. Nous faire ressentir vivant. Ce livre est encore plus beau que Plonger. C’est un roman à savourer qui donne envie de prendre un billet pour Naples afin de découvrir les paysages décrits par l’auteur. Cela peut sembler bizarre mais une sorte de générosité émane de cet ouvrage. L’auteur active tous nos sens et tout comme César nous ressortons un peu plus vivant de ce voyage.
No Comments