Confiteor est un titre à la fois énigmatique et symbolique. Emprunté au registre liturgique, il fait initialement référence à la prière initiant la confession, chez Jaume Cabré il symbolise la quête d’absolution d’Adría. Il faudra toute une vie à Adría pour réparer les fautes de son père. Un père propriétaire d’un magasin d’antiquités, qui a bâti sa fortune sur le malheur des hommes, tirant profit de leur détresse. Coupable d’extorsions et de spoliations, l’homme est guidé par son intérêt. Dénué de conscience et d’humanité, seuls les objets parviennent à toucher sa sensibilité. Rattrapé par ses fautes, il sera assassiné. Son fils héritera du magasin d’antiquités où chaque objet porte le sceau de la culpabilité. Parmi les objets spoliés, un violon d’une valeur inestimable. Le premier Storiani jamais crée. Objet de toutes les convoitises, il est entaché du sang de ceux qui l’ont possédé. À travers son histoire, Jaume Cabré retrace deux siècles de violence des hommes. Il élabore une réflexion en filigrane sur le paradoxe saisissant qu’offrent nos sociétés, capables d’apprécier la beauté esthétique dans ses nuances les plus subtiles, tout en faisant preuve d’une cruauté implacable. Allant jusqu’à faire de cette quête de la beauté, le prétexte de la violence déployée. Confiteor est un roman colossal, fruit d’une construction arachnéenne minutieuse mais terriblement complexe. L’auteur catalan s’octroie une liberté totale dans l’agencement de son récit, tissant une intrigue où les destins s’entrecroisent et les époques s’entrelacent sans transitions. Quitte à faire perdre le fil au lecteur. Confiteor est un récit d’une érudition folle, porté par un souffle romanesque inouï. Le destin de ce mystérieux violon sert de fil d’ariane au lecteur décontenancé face à ce pavé, qui l’est moins par le nombre de pages, que par la densité de l’écriture et la complexité de la construction. Confiteor demande une concentration absolue pour en saisir toute la richesse. C’est incontestablement un des très grands romans de ces dernières années.
Une construction complexe
Alors oui, c’est vrai Confiteor n’est pas un roman qui se lit facilement. La construction est alambiquée, le lecteur a du mal à distinguer, dans cet entrelacs de situations et de protagonistes, le nœud de l’intrigue. À démêler le pertinent, de ce qui passe au second plan. Les noms finissent par se confondre dans notre esprit. Le tout s’avère déroutant. Mais c’est justement le fait de fournir un tel effort qui procure ce plaisir jouissif que l’on éprouve à la lecture du roman. C’est en insistant qu’on prend la mesure de la virtuosité de l’auteur. Certes, le texte peut nous résister, mais une fois que le lecteur a trouvé la porte d’entrée, qu’il sait par quel angle abordé ce pavé, alors il est tout simplement impossible à lâcher. Confiteor se présente sous la forme d’une lettre adressée par Adría à la femme de sa vie, celle qu’il a aimée, perdue, puis retrouvée. Lorsqu’elle décède et qu’il commence à ne plus avoir toute sa tête, il décide de lui écrire une lettre dans laquelle il se confesse. La narrateur étant atteint d’alzheimer, c’est peut-être cette confusion que l’auteur a cherché à reproduire.
Un grand roman porté par un souffle romanesque puissant
Dans sa lettre, Adría retrace les étapes de sa vie. Élevé par des parents peu enclins à dévoiler leurs sentiments, par un père accaparé par son travail d’antiquaire et une mère effacée, Adría vit une enfance solitaire. Fils unique, ses parents sont obnubilés par son avenir et ont placé en lui des attentes démesurées. Virtuose pour sa mère, singe savant du côté de son père. Le choix est pour le moins limité. Adría deviendra polyglotte, érudit, doté d’une culture infinie, toute sa vie il la consacrera à épancher sa soif inextinguible de savoir. Il héritera de l’attrait paternel pour les belles choses. Les œuvres au cachet singulier, fragments d’histoire d’une valeur inestimable. Outre cette sensibilité esthétique qu’Adría reçoit en héritage, le poids de la filiation s’avère lourd à porter. Est-on coupable des crimes commis par son père ? Comment réparer ce qui a été irrémédiablement brisé ? Puisqu’une fois son père disparu, la faute continue à entacher la famille. C’est à lui qu’incombe le devoir de réparation. Pour cela, il faut remonter aux origines. Là où tout à commencer. À l’instant où le précieux violon a été créé. Puisque l’histoire de ce violon nous plonge dans des siècles de barbarie. Révèle les pires penchants de l’espèce humaine. Le désir de puissance inhérent à l’homme. Sous la plume de Jaume Cabré, l’église en prend un sacré coup. L’auteur s’attaque violemment à la responsabilité de l’église et à sa participation à la folie nazie. Cette quête meurtrière d’une pureté de la race au nom d’un idéal de perfection. Il fait le parallèle entre les hommes d’église, au moment de l’inquisition, et les dignitaires nazis, les premiers étant coupables, plusieurs siècles plus tard, d’avoir laissé les seconds agir en toute impunité. Tous semblent atteints par l’hubris. Un orgueil démesuré au service d’un projet bafouant le respect de la dignité humaine. Les hommes dans ce roman font preuve d’un manque d’humanité sidérant qui vous glace les sangs. Animés par la convoitise, ils sont tout simplement répugnants.
Conclusion
Confiteor est une œuvre colossale, tant par la densité du propos, que par la pertinence des sujets abordés. Réflexion sur la beauté, sur la décadence d’une société et la violence de la nature humaine, c’est également un roman historique foisonnant à l’intrigue passionnante, porté par une plume savoureuse. Si j’entends les réticences de certains à entamer un livre si difficile d’accès, je ne peux toutefois que le conseiller. Jaume Cabré signe un roman époustouflant !
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