Toutes les Publications De Books'nJoy

{Pal de tour du monde} : Nouvelle-Zélande 🌏 #1

1er janvier 2023. Arrivée en Nouvelle-Zélande 🇳🇿 Première étape de mon tour du monde, que je commence sur des chapeaux de roues avec une fine sélection de romans de science-fiction, histoire de me dépayser complètement. Ce choix  s’inscrit dans une volonté de couper avec une littérature ancrée dans le réel. Prendre le large en vrai et en litté 😉 mais pas que…

Isaac Asimov, Frank Herbert, Alain Damasio, Liu Cixin, René Barjavel, H.G. Wells, George Orwell, Philip K. Dick, Hugh Howey, Aldous Huxley…sont considérés comme les maîtres de la science-fiction. Sauf rares exceptions, la SF pure et dure est un genre masculin mettant en scène des hommes, dans un monde d’hommes, racontés par…des hommes. Longtemps invisibilisées, les femmes s’y sont pourtant distinguées en élargissant le champ des thématiques abordées. Ce sont leurs univers que je vous propose d’explorer à travers des œuvres cultes souvent occultées.


☄️ Les livres de la Terre fracturée. La Cinquième Saison (t.1) de N. K. Jemisin 

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La ségrégation raciale, la destruction de notre écosystème, les relations de domination, sont autant de sujets dont l’autrice féministe afro-américaine engagée multi-récompensée s’est brillamment emparé. À la fois histoire de vengeance – celle d’une planète dévastée « prête à tout…[Lire la suite]

⇒ 🌋 Zoom sur l’autrice : N. K. Jemisin a remporté trois années consécutives le Prix Hugo du meilleur roman – la plus haute distinction en science-fiction, pour chacun des tomes de sa saga dystopique écologique (2016, 2017, 2018) : Les livres de la terre fracturée. Une histoire de vengeance où la Terre dévastée décide de se venger de la violence que les hommes lui ont infligée. 


🙏 La parabole du semeur d’Octavia E. Butler

Visionnaire et anxiogène dans sa retranscription du déclin de notre civilisation, La Parabole du Semeur est une dystopie survivaliste magnifiquement portée par une jeune prédicatrice itinérante dispensant son enseignement. Grande dame de la science-fiction, Octavia E. Butler excelle dans cette littérature d’anticipation qui transcende les dérives de l’humanité grâce à la foi intacte qu’à l’autrice en sa capacité à se réinventer.[Lire la suite]

⇒ 👩🏾‍🦱🚀 Zoom sur l’autrice : Octavia E. Butler – descendante d’esclaves, filiation qui a influencé ses écrits – revisite le voyage dans le temps avec Liens de sang ou les textes bibliques dans un monde post-apocalyptique avec La parabole du semeur. Une dystopie survivaliste angoissante. Les relations interraciales, les rapports de domination, les stéréotypes de genre…sont ses sujets de prédilection. Personnalité majeure de l’afrofuturisme, l’autrice a laissé derrière elle des écrits féministes visionnaires à lire absolument.


🔁 Replay de Ken Grimwood

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1988, New York. À 43 ans, Jeff s’effondre sur son bureau terrassé par une crise cardiaque. À son réveil, en 1963, dans sa chambre sur le campus de l’université d’Atlanta, Jeff a de nouveau 18 ans. Les 25 dernières années, et ce qu’elles ont compté d’échecs : un mariage raté, le goût amer d’une carrière à l’arrêt, se sont envolés. La promesse de tout recommencer différemment, riche des enseignements tirés de sa précédente vie, s’offre à lui. Un livre culte qui pose cette question existentielle : quelle est la meilleure manière de vivre sa vie ?[Lire la suite]


🛸 L’espace d’un an de Becky Chambers

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S’émancipant des romans de science-fiction centrés sur les guerres de colonisation, la reine de la SF positive questionne, par le biais d’une héroïne en quête d’identité, la place innée que l’on occupe et celle que l’on se choisit, en se créant une nouvelle famille. Bienveillant mais jamais mièvre, L’espace d’un an est un space opera doux et enveloppant.[Lire la suite]

⇒ 👽 Zoom sur l’autrice : Becky Chambers campe des personnages lumineux et attachants, tout en déroulant une réflexion philosophique à la fois optimiste et poétique. Un nouveau terme a même été inauguré pour qualifier ses écrits : la SF Positive. Good vibes only ✌️ 

Prix Hugo de la meilleure série littéraire


🪐 Les Dépossédés d’Ursula K. Le Guin

Résumé éditeur :

Deux mondes se font face : Anarres, peuplé deux siècles plus tôt par des dissidents soucieux de créer enfin une société utopique vraiment libre, même si le prix à payer est la pauvreté.

Et Urras qui a, pour les habitants d’Anarres, conservé la réputation d’un enfer, en proie à la tyrannie, à la corruption et à la violence. Shevek, physicien hors normes, a conscience que l’isolement d’Anarres condamne son monde à la sclérose. Et, fort de son invention, l’ansible, qui permettra une communication instantanée entre tous les peuples de l’Ekumène, il choisit de s’exiler sur Urras en espérant y trouver une solution.

Ce roman, qui a obtenu les prix Hugo, Nebula et Locus, n’a rien perdu aujourd’hui de sa virulence politique ni de sa charge d’aventures.

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Liens de sang, Octavia E. Butler : science-fiction, afro-féminisme et voyage dans le temps direction une plantation d’avant la guerre de Sécession

« La facilité avec laquelle on s’est adaptés me troublait tellement […] Je comprends à quel point il est facile de conditionner les gens à accepter l’esclavage. » Grande dame de la science-fiction et figure emblématique de l’afrofuturisme et de l’afroféminisme, Octavia E. Butler imagine dans Liens de sang un voyage dans le temps déroutant direction une plantation avant la Guerre de Sécession. Les liens entre Dana – l’héroïne, et l’autrice américaine, descendante d’esclaves également, sont troublants. Outre l’héritage familial, Dana vit à Los Angeles dans les années 70, où elle enchaîne les jobs alimentaires avant de pouvoir vivre de la publication de ses romans. Le jour de ses 26 ans, la jeune femme est prise de vertiges et bascule dans une faille spatio-temporelle. À son réveil en 1815 dans une plantation de maïs, le Maryland est encore un état esclavagiste et son arrière-grand-père – Rufus Weylin, un propriétaire terrien. Un maître lunatique et tyrannique qui ne laisse pas de répit à Alice, son aïeule, alors une jeune femme noire trimant comme esclave dans la bâtisse coloniale de style géorgien. Contrainte de veiller à la survie de son parent pour garantir la pérennité de la lignée, Dana s’évertue à inoculer dans son esprit des idées progressistes et humanistes, sans réaliser qu’elle-même perd pied. Se confrontant à la difficulté de s’extraire d’un lieu et d’une époque raciste et misogyne pour porter sur ces derniers un jugement distancé. Liens de sang est un roman d’anticipation brillant et addictif, abordant les relations interraciales, le conditionnement, notre degré de porosité à notre environnement, et nos facultés d’adaptation à un système coercitif où la survie est intimement corrélée aux arbitrages moraux effectués. De cette réflexion subtilement déroulée à travers une héroïne traversée par des sentiments ambivalents – haine, colère, dégoût, culpabilité, mais également affection et instinct de protection – émerge une question éthique fondamentale : quelle part de nous est sacrifiée en consentant à des compromis mettant en péril notre intégrité ?

Il n’aurait pas pu trouver pire, comme ange gardien : un gardien noir dans une société qui ne tenait pas les Noirs pour humains, un gardien femme dans une société qui tenait les femmes pour des êtres à jamais mineurs. J’aurais déjà beaucoup à faire pour me protéger moi-même.

Si Kevin était exilé ici pendant des années, quelque chose de ce lieu, de cette époque, déteindrait sur lui. S’il arrivait à survivre, ce serait qu’il aurait réussi à tolérer cette existence. Sans nécessairement l’approuver, mais en taisant ses opinions. Liberté de parole et liberté de la presse n’étaient pas en vogue dans le Sud d’avant la guerre de Sécession. Et Kevin en serait privé. Ou bien ce temps, ce lieu le tueraient d’entrée de jeu, ou bien ils graveraient leur marque sur lui à jamais.


Mon appréciation : 4,5/5

Date de parution : 1979. Grand format aux Éditions Au Diable Vauvert, traduit de l’anglais (États-Unis) par Nadine Gassié, réactualisée par Jessica Shapiro, 480 pages.

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Un bûcher sous la neige, Susan Fletcher : le destin d’une « sorcière » traquée dans les Highlands écossais du 17e siècle

« Parlez de l’histoire que je vais vous apprendre et n’y ajoutez pas de mensonges, parce qu’elle n’en a pas besoin, elle est pleine à ras bord d’amour et de pertes […] Dites Corrag était innocente. Dites qu’elle ne méritait pas de mourir brûlée, et solitaire. » Dans l’Écosse superstitieuse de la fin du 17e siècle, une jeune femme toute menue, le corps si frêle que son geôlier peine à la discerner dans le coin reculé du cachot où elle est emprisonnée, attend d’être brûlée vive. Le châtiment des sorcières. Un supplice enduré par une lignée de femmes partageant avec elle un savoir ancestral. L’art de guérir par les plantes. Pour cela, sa grand-mère fut noyée, sa mère pendue, après lui avoir fait promettre de fuir vers le nord-ouest et de ne surtout jamais prendre le risque d’aimer. De nuit, Corrag chevauche à travers les landes battues par le vent, les sabots de sa jument foulant les terres enneigées des Highlands écossais. Une contrée escarpée, brumeuse et verdoyante, dont la nature sauvage accueille comme un écrin la jeune femme traquée. Au village de Glencoe, le clan MacDonald règne avec brutalité et refuse de prêter allégeance au souverain. Bien que vivant en marge au cœur de la forêt, Corrag se retrouve impliquée dans les intrigues politiques et les luttes de clan, assistant impuissante au Massacre de Glencoe, des seuls êtres à ne pas l’avoir chassée et à lui avoir offert l’hospitalité. En qualité de témoin privilégié de l’événement, le révérend Charles Leslie lui rend visite pour récolter sa version des faits. En échange de sa déclaration, Corrag lui demande d’écouter son histoire. Celle d’une femme libre qui dérange, puisque échappant au pouvoir des hommes. Poétique et lumineux, à l’image du regard que pose l’héroïne sur le monde qui l’entoure, Un bûcher sous la neige de Susan Fletcher est la longue confession d’une femme victime de la folie des hommes, accusée de sorcellerie et condamnée par superstition. Un destin d’exception offrant un tableau bouleversant et édifiant de la condition féminine à travers les siècles.


J’ai vécu dehors. Sur des landes, à tous les vents. J’ai habité une cabane que j’avais bâtie moi-même, de mes mains, avec des branches, des pierres et de la mousse. Les montagnes me regardaient d’en haut quand je m’y blottissais le soir.
Et à présent ? À présent, je suis ici.
Dans un cachot, enchaînée.

Tu me quittes à présent, et il ne faut pas revenir. Sois prudente. Sois courageuse. Ne regrette jamais d’être ce que tu es, Corrag, mais garde-toi d’aimer les gens. L’amour est trop douloureux et il rend l vie dure à supporter…
Sois bienfaisante envers tou ce qui vit.
Écoute la voix en toi.
Je ne serai jamais loin de toi. Et je te reverrai, un jour.
Chevauche. Au nord-ouest ! Va-t’en ! Va-t’en !

Chasse aux sorcières : une étape dans l’histoire de l’émancipation féminine ?

Comme tout processus, celui de l’émancipation féminine fut/est long. Le mythe de la sorcière pour qualifier des femmes en quête de liberté et d’indépendance ou vivant en marge de la société, détenant un savoir spécifique comme l’utilisation des plantes pour guérir… fut créer pour les stigmatiser et les associer dans l’imaginaire collectif à des êtres nuisibles que seul le bûcher ou autres joyeusetés libéreraient de l’emprise du démon. La société du XVI au XVIIIe siècle pouvant dès lors respirer à plein poumon ! Il faudra attendre le Witchcraft Act de 1735, pour que la loi abolisse la chasse et les exécutions de sorcières. En attendant, avant que la terminologie incarne un des symboles du féminisme, sur près de trois siècles, 100 000 femmes furent accusées de sorcellerie. Corrag est l’une d’entre elle. « Née sur une terre endurcie par un âpre mois de décembre, au moment où les gens à l’église chantaient en claquant des dents une histoire de trois rois mages », la jeune femme voit le jour dans un petit village anglais. Comme sa grand-mère et sa mère avant elle, elle doit lutter, sitôt née, contre les préjugés de l’époque : la sexualité des femmes se limitant au cercle marital, sa mère est traitée de putain, le savoir étant une exclusivité masculine, ses connaissances effraient. Toute sa vie, Corrag fuit. Que ce soit pour échapper à la tentative de viol de soldats anglais ou éviter de mourir brûlée, pendue ou bien noyée, puisque « les gens enfouissent ce qui les effraie, pour se protéger ».

« Parlez de moi. De moi. De ma petite vie. Parlez-en quand j’aurai disparu, car où sont ceux qui pourraient dire qui j’étais ? Personne ne connaît mon histoire. Personne n’est plus là pour en parler, alors faites-le du haut de la chaire, ou écrivez-la à l’encre. Parlez de l’histoire que je vais vous apprendre et n’y ajoutez pas de mensonges, parce qu’elle n’en a pas besoin, elle est pleine à ras bord d’amour et de pertes et je crois qu’elle fournit de quoi raconter dans les veillées au coin du feu telle qu’elle est, entièrement vraie. Dites Corrag était innocente. Dites qu’elle ne méritait pas de mourir brûlée, et solitaire. J’ai toujours tâché d’être bonne. » 

Une ode à la nature & une invitation à la spiritualité

De nos jours, qui prend le temps de soigner son âme ? Peu de gens, à mon idée. Je vais vous dire, monsieur Leslie : je pense que peut-être, avec la vie qu’on mène, à gagner son pain, se laver, se chauffer, livrer des petites batailles quotidiennes, on oublie son âme. On ne s’en occupe pas, comme si elle avait moins d’importance que tout ça. Et elle n’en a pas moins, je crois.

Outre le très beau portrait de femme réalisé, la beauté du roman de Susan Fletcher réside dans la rapport qu’entretient l’héroïne à la nature et à la spiritualité. Ironie du sort, puisque persécutée par les autorités religieuses, la « sorcière » nourrissait justement un lien étroit avec la spiritualité et vivait davantage en harmonie avec la nature, plus soucieuse du respect du vivant que l’immense majorité des gens. Son refus de se plier aux dogmes religieux lui valant sa mise au ban de la société, considérée comme une criminelle au motif de l’usage de forces surnaturelles. Tout phénomène inexpliqué ou étrange leur est systématiquement attribué : « un enfant né tout bleu, et mort », « un lièvre accompagné d’une pleine lune », le regard concupiscent d’un homme dont l’épouse jalouse accuse la mère de Corrag de l’avoir ensorcelé. Loin de son village anglais natal, c’est à Glencoe en Écosse que Corrag trouve la paix qu’elle est venue chercher. Elle cesse de vagabonder et se construit une cabane au cœur de la forêt, faite de boue séchée et de bois trempé. Près du Glen, la nuit elle observe le ciel étoilé et le jour les étendues sauvages, où elle s’approvisionne en baies. Poursuivant un savoir occulte qui lui vaudra l’estime et l’affection du clan de guerriers venus la solliciter, lui procurant la sensation réconfortante, pour la première fois, d’appartenir à une communauté. Bonheur de courte durée, puisque dès le début l’issue est connue : le clan a été décimé et Corrag emprisonnée. Alors, il lui reste à confier son histoire à l’homme d’église assis sur un tabouret venu l’écouter. Le cœur durci par une vie nourrie de préjugés, le révérend Leslie regarde la captive d’un air dégoutté. Sale, affamée, menottée et le corps brisé, Corrag ressemble à une créature ainsi recroquevillée dans son cachot écossais. Mais au fil de son récit, l’hostilité du révérend faiblit. Un glissement s’opère. Son jugement se modifie à mesure qu’il se laisse bercer par l’art narratif de la jeune fille. Sa puissance d’évocation, le regard sensible qu’elle pose sur le monde. Le fait de côtoyer la personne que son ignorance condamnait d’emblée, lui a permis d’entrevoir dans les ténèbres un être lumineux. Le sort de notre héroïne pourra peut-être en bénéficier.

Je marche là où elle marche, je vois ce qu’elle voit. Quel don ! J’écris ceci de ma chambre comme toujours. Mais elle parle avec tant d’éloquence de sa vie sauvage, dans la bruyère et parmi les rochers, que je m’y sens plongé. Est-ce de la sorcellerie ? Ce don ? Ses propos s’incrustent en moi. […] Les récits de la prisonnière me font l’effet d’une magie.

Il y a des gens qui parlent du destin. Moi, je n’utilise pas ce mot. Je pense que nous avons des choix à faire. Je pense que c’est nous qui traçons le chemin de notre vie et qu’il ne faut pas mettre tous nos espoirs dans les songes et les étoiles. Peut-être pourtant que les songes et les étoiles peuvent nous guider. Et la voix du cœur est forte. Toujours.
L’écouter, voilà mon conseil. Si mon récit doit s’arrêter, prenez ça comme la seule chose que j’ai à dire sur la vie et la manière de la mener (car ma vie ne touche-t-elle pas à sa fin ?). La voix du cœur est la voix de la vérité. C’est plus facile de ne pas l’entendre, parce qu’elle donne quelque fois un avis qui nous contrarie, et risquer de perdre ce que nous avons est bien dur. Mais quelle vie menons-nous si nous refusons d’écouter notre cœur ? Une vie qui n’est pas vraie. Et la personne qui vit n’est pas vraiment nous.


Mon appréciation : 4/5

Date de parution : 2010. Grand format aux Éditions Plon, Poche chez J’ai Lu, traduit de l’anglais par Suzanne V. Mayoux, 480 pages.


Idées de lecture…

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Les maîtres enlumineurs (t.1), Robert Jackson Bennett : un nouveau cycle d’heroic fantasy mêlant arcanepunk & technomagie

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« Tu dois comprendre, petite, que tu vas plonger au cœur d’une guerre qui dure depuis des temps immémoriaux. Une guerre entre ceux qui fabriquent et ce qui est fabriqué, entre ceux qui possèdent et ceux qui sont possédés. » Il y a des milliers d’années, une civilisation parvenue à un degré de développement avancé s’est effondrée. De ses vestiges ont été exhumées des notes relatives à l’art de l’enluminure. Une technique permettant en gravant des séries de sceaux complexes sur les objets de négocier les frontières de la réalité. Tevanne, ville plutocrate divisée en quatre cités-marchandes, s’est bâtie sur cette technologie. L’équilibre politique y est fragile, puisque corrélé aux progrès de chaque grande famille dans le maniement de la magie. Dans cet univers corrompu, une orpheline échappée d’une plantation d’esclaves est mandatée par un inconnu pour dérober un mystérieux objet. Une clé en or forgée à partir d’expériences abominables, de rites mystiques hiérophantiques, de sorcellerie et de sacrifices humains. L’enluminure d’êtres vivants a beau être prohibée, Sancia a vissée dans la tête une plaque de métal gravée, lui octroyant le pouvoir de communiquer au toucher avec les objets enluminés. Un don qu’elle seule possède, la contraignant à la solitude et à la marginalité. Le paiement recouvrant le montant d’une opération pratiquée par un physiquere pour la lui retirer, Sancia accepte la mission sans soupçonner qu’elle n’est qu’un pion à sacrifier. Pour échapper aux milices armées, la jeune femme devra faire équipe avec l’héritier du clan Dandolo, l’hypatus Orso – un éminent sorcier mal luné – et Bérénice – une enlumineuse surdouée. Et, bien sûr, avec son ami Clef, qui s’avérera un allié de poids dans la guerre engagée contre les puissants. Premier tome flamboyant d’un cycle d’heroic fantasy mêlant arcanepunk et technomagie, Les maîtres enlumineurs de Robert Jackson Bennett ensorcèle par son worldbuilding (= élaboration d’un monde imaginaire/univers fictionnel) innovant, son système magique élaboré et ses héroïnes féminines révoltées, tout en alertant sur les dangers liés à la manipulation de la réalité.


Toute innovation qui accorde davantage de pouvoir aux individus finit inévitablement par en accorder beaucoup, beaucoup plus aux puissants.

Tribuno Candiano,
Lettre à l’assemblée des principaux officiers de la compagnie Candiano

Mon appréciation : 4/5

Date de parution : 2021. Éditions Albin Michel, Collection Albin Michel Imaginaire, traduit de l’anglais (États-Unis) par Laurent Philibert-Caillat, 604 pages.


Idées de lecture…

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❄️ 📚 {Sélection spéciale} : #ColdWinterChallenge 2022

Un plaid, un bon bouquin, un chocolat chaud et des gingerbreads, le tout accompagné d’une playlist de noël…c’est cliché, ok mais cocooning à souhait. Et cette année, j’ai décidé d’en profiter à fond en participant au meilleur challenge littéraire de la fin d’année, puisque je n’aurai qu’un mois d’hiver avant de m’envoler vers l’autre hémisphère. Le principe est simple : se constituer une PAL à lire sur le thème des fêtes de fin d’année, christmas time, ambiance glacée… Et dans ma bibli j’avais pas mal de livres à dépoussiérer qui s’y prêtaient.

Le challenge étant organisé par L’Enluminée du 1er décembre au 28 février, j’ai suivi les catégories qu’elle a choisies.


Menu {Yule}

Catégorie *Reine des neiges*
(femme de pouvoir, féminisme, sorcière)

Mon choix :

🧙‍♀️ Un bûcher sous la neige de Susan Fletcher

Résumé : Au cœur de l’Écosse du XVIIᵉ siècle, Corrag, jeune fille accusée de sorcellerie, attend le bûcher. Dans le clair-obscur d’une prison putride, le révérend Charles Leslie, venu d’Irlande, l’interroge sur les massacres dont elle a été témoin. Depuis sa geôle, la voix de Corrag s’élève au-dessus des légendes de sorcières et raconte les Highlands enneigés, les cascades où elle lave sa peau poussiéreuse. Jour après jour, la créature maudite s’efface. Et du coin de sa cellule émane une lumière, une grâce, qui vient semer le trouble dans l’esprit de Charles.

Ma chronique

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Poétique et lumineux, à l’image du regard que pose l’héroïne sur le monde qui l’entoure, Un bûcher sous la neige de Susan Fletcher est la longue confession d’une femme victime de la folie des hommes, accusée de sorcellerie et condamnée par superstition. Un destin d’exception offrant un tableau bouleversant et édifiant de la condition féminine à travers les siècles. [Lire la suite]


Idées de lecture…

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Catégorie *Danse de la fée Dragée*
(rêve, univers onirique, fantasy, fantastique)

Mes choix :

☃️ La fileuse d’argent de Naomi Novik

Résumé : Déterminée à sauver sa famille du naufrage financier, Miryem reprend avec succès l’activité de prêteur de son père, mais elle attire rapidement l’attention du roi des Staryk, une créature effroyable qui exige d’elle l’impossible. Wanda, fille de ferme miséreuse aux prises avec un père violent et alcoolique, lutte pour sa survie et celle de ses deux frères. Et quoiqu’elle vive dans les ors du château, Irina connaît un sort à peine plus enviable : son père, le duc, entend la marier sous peu à un homme connu pour son extrême cruauté. Trois femmes, trois destins mêlés dans le blizzard surnaturel d’un hiver qui menace de geler toute vie sur son passage.


🗝✨ Les maîtres enlumineurs de Robert Jackson Bennett

Résumé : Toute l’économie de l’opulente cité de Tevanne repose sur une puissante magie : l’enluminure. À l’aide de sceaux complexes, les maîtres enlumineurs donnent aux objets des pouvoirs insoupçonnés et contournent les lois de la physique. Sancia Grado est une jeune voleuse qui a le don de revivre le passé des objets et d’écouter chuchoter leurs enluminures. Engagée par une des grandes familles de la cité pour dérober une étrange clé dans un entrepôt sous très haute surveillance, elle ignore que cet artefact a le pouvoir de changer l’enluminure à jamais : quiconque entrera en sa possession pourra mettre Tevanne à genoux. Poursuivie par un adversaire implacable, Sancia n’aura d’autre choix que de se trouver des alliés.

Ma chronique

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Premier tome flamboyant d’un cycle d’heroic fantasy mêlant arcanepunk et technomagieLes maîtres enlumineurs de Robert Jackson Bennett ensorcèle par son worldbuilding (= élaboration d’un monde imaginaire/univers fictionnel) innovant, son système magique élaboré et ses héroïnes féminines révoltées, tout en alertant sur les dangers liés à la manipulation de la réalité. [Lire la suite]


Idées de lecture…

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Catégorie *Iceberg*
(secret, secret de famille, mystère)

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Menu {Marcher dans la neige}

Catégorie *Vive le vent*
(hiver, pays froid, voyage)

Mon choix :

🦊 Sauvagines de Gabrielle Filteau-Chiba

Résumé : Raphaëlle est garde-forestière. Elle vit seule avec Coyote, sa chienne, dans une roulotte au cœur de la forêt du Kamouraska, à l’Est du Québec. Elle côtoie quotidiennement ours, coyotes et lynx, mais elle n’échangerait sa vie pour rien au monde.
Un matin, Raphaëlle est troublée de découvrir des empreintes d’ours devant la porte de sa cabane. Quelques jours plus tard, sa chienne disparaît. Elle la retrouve gravement blessée par des collets illégalement posés. Folle de rage, elle laisse un message d’avertissement au braconnier. Lorsqu’elle retrouve des empreintes d’homme devant chez elle et une peau de coyote sur son lit, elle comprend que de chasseuse, elle est devenue chassée. Mais Raphaëlle n’est pas du genre à se laisser intimider. Aidée de son vieil ami Lionel et de l’indomptable Anouk, belle ermite des bois, elle échafaude patiemment sa vengeance.
Un roman haletant et envoûtant qui nous plonge dans la splendeur de la forêt boréale, sur les traces de deux-écoguerrières prêtent à tout pour protéger leur monde et ceux qui l’habitent.


Idées de lecture…

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Catégorie *Pomme de pin*
(animaux, écologie, nature writing)

Mon choix :

🏔 Blanc de Sylvain Tesson

Résumé : Avec mon ami le guide de haute montagne Daniel du Lac, je suis parti de Menton au bord de la Méditerranée pour traverser les Alpes à ski, jusqu’à Trieste, en passant par l’Italie, la Suisse, l’Autriche et la Slovénie. De 2018 à 2021, à la fin de l’hiver, nous nous élevions dans la neige. Le ciel était vierge, le monde sans contours, seul l’effort décomptait les jours. Je croyais m’aventurer dans la beauté, je me diluais dans une substance. Dans le Blanc tout s’annule — espoirs et regrets. Pourquoi ai-je tant aimé errer dans la pureté ?
S. T.


Idées de lecture…

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Catégorie *Patin à glace*
(sport, personnage athlétique, aventure dangereuse)

Idées de lecture…

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Menu {Magie de Noël}

Catégorie *Un chant de Noël*
(conte, réécriture de conte, mythes & légendes)

Mon choix :

🎄Le livre de Noël de Selma Lagerlöf (première femme Prix Nobel de littérature en 1909)

Résumé : Nourris de légendes suédoises, huit récits de Noël auxquels le talent de conteuse de Selma Lagerlöf confère un charme incomparable.
Au fil de ces récits de Selma Lagerlöf, inspirés de légendes suédoises et aussi savoureux que des contes dits à la veillée – celle de Noël, bien sûr –, on fera la connaissance d’une petite fille qui reçoit un livre d’étrennes… en français, qu’elle désespère de jamais pouvoir lire. On découvrira l’origine de la légende de sainte Luce, très prisée en Suède. On saura ce que font les animaux durant la nuit de Noël et comment le rouge-gorge devint rouge. On apprendra qu’une mère peut être jalouse de sa propre fille, parce que son mari en est trop proche. On lira l’aventure d’un colporteur, voleur et repenti ; on assistera au dialogue entre un fossoyeur et le crâne d’un homme assassiné ; et l’on sera surpris par une confrontation inédite entre Jésus et Judas.
De ce recueil, profondément empreint de foi religieuse mais aussi de chaleur et de philosophie, émane ce que l’on appelle volontiers la magie de Noël : un mélange de générosité et de mélancolie, de compassion et de joie, sublimé par le talent de conteuse de Selma Lagerlöf.


Idées de lecture…

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Catégorie *Fantômes des Noëls passés*
(fantômes, voyage temporel, jeu avec les époques)

Idées de lecture…

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Bonnes lectures et bon challenge à tous.tes !

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Les livres à lire au moins une fois dans sa vie : L’Ombre du vent, Carlos Ruiz Zafón {#LivreCulte}

À l’instar de Daniel Sempere, le héros de Carlos Ruiz Zafón : « J’ai grandi entre les livres, en me faisant des amis invisibles dans les pages qui tombaient en poussière et dont je porte encore l’odeur sur les mains. » Dans ma vie de lectrice, certains livres et personnages ont eu un rôle fondateur : Au Bonheur des Dames de Zola, Les trois mousquetaires de Dumas, plus jeune l’héroïne Sally Lockhart de Pullman, le cycle romanesque À la croisée des mondes et ses dæmons, le personnage de lectrice compulsive qu’est Matilda, la saga magique Harry Potter, en particulier Hermione et son insatiable curiosité… Puis, alors que je devais avoir une quinzaine d’années, un libraire m’a conseillé L’Ombre du vent, dévoré en une poignée d’heures. Et là, j’ai compris ce qu’était un page turner, un grand roman populaire doué de qualités littéraires. Ce livre qui en quelques pages plante le décor et vous plonge tête la première dans une intrigue romanesque tellement addictive que les pages défilent, que vous vibrez au rythme des rebondissements et des retournements de situation, que vous passez par une palette infinie d’émotions, que chaque page rend si palpable l’amour de l’auteur pour les mots que vous vous dites qu’il écrit avant tout pour ceux qui comme vous passent le monde au tamis de la littérature, qui complètement captivés par leur lecture, voient les heures défiler, en ayant la sensation d’évoluer dans une bulle hors du temps, un espace protégé chaleureux et merveilleux. Ce pouvoir immersif des mots, le fait que la vie et la littérature soient si intrinsèquement liées, Carlos Ruiz Zafón le rend magnifiquement. « Chaque livre, chaque volume que tu vois, a une âme. L’âme de celui qui l’a écrit, et l’âme de ceux qui l’ont lu, ont vécu et rêvé avec lui. »/« Bientôt, l’idée s’empara de moi qu’un univers infini à explorer s’ouvrait derrière chaque couverture tandis qu’au-delà de ces murs le monde laissait s’écouler la vie […] satisfait de n’avoir pas à regarder beaucoup plus loin que son nombril. »


Écrivain espagnol le plus traduit après Cervantès, Carlos Ruiz Zafón tisse un roman initiatique fabuleux à mi-chemin entre le polar littéraire, le drame historique aux influences gothiques et fantastiques avec pour toile de fond l’Espagne franquiste. Un jour d’été 1945, alors que Daniel Sempere s’apprête à fêter ses onze ans, son père, avec qui il vit seul depuis le décès de sa mère au-dessus d’un « bazar enchanté » – une boutique de livres rares et d’occasion – le réveille pour le conduire vers un lieu mystérieux. Père et fils se glissent à l’aube dans les ruelles sombres d’une Barcelone hantée par les fantômes de la Guerre Civile. Le Cimetière des Livres oubliés est une bibliothèque labyrinthique, où sont gardés les livres abandonnés en attente de toucher un nouvel esprit. À l’issue de ce rite initiatique, Daniel Sempere est invité à adopter un des volumes ayant sombré dans l’oubli, destiné à l’accompagner toute sa vie. Un serment important pour l’adolescent qui, guidé par la main du destin, tombe sur L’Ombre du vent, dont l’auteur, Julian Carax, semble s’être envolé en fumée, comme les pages de son œuvre sous la main d’un homme au visage brûlé. Une âme perdue mue par un humour diabolique empruntant le nom du diable dans le roman de l’écrivain catalan. Brûlant de découvrir la vérité, notre héros accompagné de son fidèle acolyte – un ancien espion traqué par la police franquiste à l’esprit malicieux et au cœur généreux – enquêtent sans imaginer faire ressurgir du passé une histoire d’amours maudîtes, de vies volées et de destins brisés. Une énigme jamais élucidée qu’aucun indice ne laisse présager. À l’image de leur ville, les personnages de Carlos Ruiz Zafón sont tissés de brumes et de secrets, de mensonges et de crimes dissimulés dans les replis du temps. Distillant le suspense à la manière des feuilletonistes du 19e, Carlos Ruiz Zafón éblouit par sa maîtrise de l’art romanesque s’exprimant dans une narration lente et envoûtante, à la construction faite de chausse-trappes et de déclarations à double-fond, jusqu’à l’ultime révélation. Du grand art !


Mon appréciation : 5/5

Date de parution : 2001. Éditions Actes Sud, poche dans la collection Babel, traduit de l’espagnol par François Maspero, 624 pages.

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Mort aux geais. Capitale du Nord (t.2), Claire Duvivier : vengeance & clandestinité sous l’influence d’un diadème maléfique

« Nous avions donné naissance à une troisième entité : la Machine, qui n’attendait que d’être remontée pour accomplir sa vengeance. » Après un premier tome introductif à l’univers de Dehaven se clôturant sur un massacre sanglant et un cliffhanger étourdissant, Claire Duvivier poursuit sa saga de fantasy en nous faisant quitter les quartiers huppés de Dehaven pour ses faubourgs mal famés. Principaux suspects dans la tuerie qui a décimé la famille De Wautier, Amalia et Yonas entrent dans la clandestinité, allant de cache en cache, de tavernes poisseuses en chambres d’hôtes crasseuses. En campant une héroïne à l’image de sa ville : rationnelle, froide et tempérée, Claire Duvivier casse les codes de la fantasy et nous offre un personnage féminin davantage dans la réflexion que dans la réaction. Traits de caractères nécessaires pour qui doit garder la tête froide et infiltrer les tables de jeux, cercles littéraires et clubs politiques révolutionnaires, à l’instar de la Popine du Baudet, en vue de mener à bien une vengeance soigneusement préparée. Trahisons, manipulation, intrigues politiques, les deux fugitifs tirent les ficelles en coulisses. Lancés dans une quête vengeresse dont l’enjeu n’est pas tant de blanchir leur nom, que de renverser un gouvernement oligarchique décadent. En tant que noble déchue ayant tout perdu et de transfuge de classe cachant un profond ressentiment, Amalia et son compagnon d’infortune sont de véritables bombes à retardement. Né dans les Faubourgs, éduqué à la Citadelle, Yonas est à cheval entre deux mondes. Le procès lapidaire de son père, soupçonné de les avoir aidés à s’évader, ne fait que renforcer sa colère à l’égard d’un système inégalitaire. Fins stratèges rompus au jeu de la Tour de Garde, les deux amis placent leur pion, aidés d’un des objets ensorcelés par Hirion. Un mystérieux diadème forgé à partir de deux cercles d’argent libérant un charme envoûtant. Emberlificotés dans des liens invisibles puissants, Amalia et Yonas apprendront à leur dépens que la magie qui a causé leur ruine et précipité leur meilleur ami dans la folie, est un outil à double tranchant.

Lu dans le cadre d'une rencontre organisée par Babelio avec Claire Duvivier

Mon appréciation : 3,5/5

Date de parution : 2022. Aux Éditions Aux Forges de Vulcain, 432 pages.


Le cycle de La Tour de garde


Découvrez le premier tome de Capitale du Nord

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{Article thématique} : Où trouver des idées de lecture ? #1 Babelio

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Les conseils de libraires, les applis, les blogs, les réseaux sociaux, la presse, une amie qui vous a dit que lire Krishnamurti changera votre vie… bref, les sources d’inspiration où puiser des idées de lecture ne manquent pas. Mais parfois, c’est l’effet inverse qui se produit et sous le flux d’infos, on finit par se noyer. J’ai conscience aussi – à force de discussions avec des lecteur.ice.s de toutes horizons/générations – que tout le monde n’est pas forcément à l’aise à l’idée de franchir la porte d’une librairie ou n’a pas été bien conseillé par le passé. Taper dans la barre de recherche : livres à lire sous un plaid en automne, livre ambiance hivernale ou chef-d’œuvre à lire absolument dans sa vie, à moins d’être en veine ce jour-là, ne vous aiguillera probablement pas vers  Les forestiers de Thomas Hardy, Encabanée de Gabrielle Filteau-Chiba ou La huitième vie de Nino Haratischwili. En revanche, le site Babelio est un outil formidable dans ce cas-là. Depuis sa création en 2007, des centaines de listes ont été éditées par les lecteurs, autour de thèmes aussi généralistes que : “150 livres à lire avant de mourir”, “Le roman américain la bibliothèque idéale”, ou de niche tels que : “Quand la science-fiction se fait poésie”, “Le froid”, “Les livres dans les livres”, “La science-fiction pour ceux qui ne croient pas aimer ça”, “Sauvages, libres et éternels”… En ce qui me concerne, j’ai passé un nombre d’heures incalculables à fouiner pour prolonger une expérience de lecture agréable et trouver une atmosphère similaire, m’aidant des critiques, du nuage de mots-clés ou des listes thématiques. Par exemple, Là où chantent les écrevisses de Delia Owens est mentionné dans “L’univers des bois dans la littérature” où il y a des merveilles, telles que justement : Les forestiers de Thomas Hardy, mais aussi Kafka sur le rivage de Murakami ou L’amant de Lady Chatterley de D. H. Lawrence, lais également dans “Les romans les mieux notés”, et là faites votre choix !


Mon expérience de lectrice

Lorsque je regarde mes applis les plus consultées, sans surprise Babelio ressort en premier. C’est devenu un réflexe avec le temps. Dès que l’on me parle d’un livre qui attise ma curiosité, je le cherche dans l’appli et l’ajoute dans mes « à lire ». Au moment où j’écris cet article, ma bibliothèque virtuelle en recense plus de 400… Cette fonctionnalité me permet de ne pas oublier les titres que l’on m’a conseillés ou que j’ai repérés, sans pour autant passer le pas de l’acheter (même si c’est probablement ce qu’il va se passer 😉 ).


Un système de notation pertinent à double tranchant

Comme tout système d’évaluation, celui mise à la disposition des lecteurs – les invitant à attribuer une note de 0 à 5 – a ses atouts et ses inconvénients. De mon côté, je m’y réfère instinctivement pour avoir une idée de l’accueil du public, au risque de passer complétement à côté d’un roman encensé. Ce fut le cas pour Betty de Tiffany McDaniel, noté 4,3/5 et présenté comme un chef-d’œuvre de la littérature américaine, mettant en scène une héroïne au destin tragique née d’une mère blanche et d’un père cherokee. Une très bonne note donc que je trouve usurpée, ayant trouvé la narration lourde et le propos douteux. Quand Où es-tu monde admirable de Sally Rooney affiche un modeste 3,6/5, alors que ce texte au style ciselé nous offre une radioscopie virtuose du malaise générationnel que traversent les trentenaires dans la société aujourd’hui. Vous me direz qu’il s’agit d’une affaire de goût. Peut-être est-ce le cas. D’ailleurs, À l’est d’Éden du Prix Nobel de littérature John Steinbeck, qui écrit comme nul autre sur le péché, la rédemption, le pardon, le mal, le bien, le mensonge, la jalousie, avec son 4,48/5 apparaît dans les ouvrages les mieux notés. De quoi me réconforter en imaginant le plaisir pris par les lecteurs n’ayant pas encore eu la chance de rencontrer Samuel Hamilton et de dévorer ce monument de la littérature américaine. Enthousiasme toutefois douché face au 4/5 de la série de new romance After. De manière générale, l’expérience m’a montré que les livres dont la note passe sous la barre des 3/5 se révélaient assez mauvais, tandis que ceux au-dessus de 4,2/5 méritaient une lecture attentive des recensions de lecteurs pour éviter une potentielle déconvenue. But don’t judge a book by it’s cover et il se peut que vous ne partagiez pas l’avis de la majorité. En ça, rien de grave. Vous pourrez toujours le prêter et un.e autre que vous saura l’apprécier. Une astuce pour s’assurer de la validité ou plutôt du bon sens d’une note attribuée – qu’elle soit bonne ou mauvaise – consiste à regarder le nombre d’internautes ayant évalué et critiqué le livre. Plus ce chiffre est élevé, plus la note associée est fiable (sauf exception, le cas de livres de romance ou feel-good me laisse perplexe, mais c’est un autre sujet). Prenons Dune de Frank Herbert, qui est un des plus grands romans de science-fiction. Le premier tome est noté 4,3/5. 15057 lecteurs l’ont lu, 4774 lui ont attribué une note et 413 critiques ont été déposées. Il y a de grandes chances pour que l’enthousiasme affiché soit justifié ! Je vous laisse en juger.


Une classification par nuages de mots-clés

Mon premier réflexe quand j’entends parler d’un livre, est donc d’aller jeter un œil à sa fiche, de checker sa note et quelques critiques. Sur le côté droit de la fiche du titre, un encart présente les livres associés. Si j’en ai lu et apprécié certains, cela me conforte dans l’idée que mon alerte livre à garder dans un coin de ma tête” ne s’est pas enclenchée pour rien. Le nuage de mots-clés sous la couverture de l’ouvrage met en avant les thèmes abordés : science-fiction, nature, récit de voyage, nature writing, mythologie, féminisme, oiseaux, marche… Ce sont des étiquettes permettant d’orienter les lecteurs et de classer les livres. Celles-ci sont cliquables et permettent d’avoir accès à des listes de livres partageant des thèmes communs. Quelques exemples autour de la marche” : Wild de Cheryl Strayed,  Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson, le roman graphique Americana de Luke Healy… Une de mes étiquettes préférées est celle de  nature writing”, vous invitant à vous plonger dans les œuvres de : Pete Fromm, Jean Hegland, Jamey Bradbury, Peter Heller, Delia Owens, Glendon Swarthout et une infinité d’autres. Pour un même livre, des dizaines de portes d’entrée permettent d’y accéder et c’est toute la richesse de cette communauté de passionnés.


Les événements : des moments de convivialité & d’échange entre passionnés

C’est justement après avoir assisté à une rencontre autour de l’hexalogie écrite à quatre mains par Claire Duvivier et Guillaume Chamanadjian, que m’est venue l’idée de partager mon expérience de Babelionaute ici. Le plaisir pris lors de la rencontre, le professionnalisme des équipes, les échanges avec les auteurs et lecteurs, le pot qui a suivi arrosé de vin rouge (évidemment 😉 ), m’ont convaincu d’encourager d’autres lecteurs à tenter l’expérience. Babelio est un réseau de geeks bienveillants, de fous de littérature, de personnes prenant un plaisir indicible toute une soirée à se conseiller des ouvrages par destination, à défricher des pans de la littérature où l’on n’aurait pas oser s’aventurer, à exhumer un livre culte tombé dans l’oubli ou à saluer le travail des petites maisons d’édition qui tentent de gagner en visibilité et à mettre en lumière un catalogue qui mériterait qu’on y regarde de plus près. Pendant la soirée, j’ai eu la joie d’assister à une heure d’échange avec les auteurs. C’était passionnant. Puis d’évoquer le rôle-clé de l’éditeur avec David Meulemans, le directeur des Éditions Aux Forges de Vulcain. De discuter avec les équipes, de prendre un, deux verres. De me faire dédicacer les livres, tout en m’en faisant conseiller d’autres par Claire Duvivier. Notamment Kra de John Crowley, que j’ai dans ma pal (il n’y a plus qu’à l’en sortir). Les deux mots d’ordre de la soirée étaient : convivialité & passion. On aurait tort de s’en priver, non ?


D’autres fonctionnalités : masse critique, articles, interviews, quiz, vide-bibliothèque…

Chaque fin d’année, Babelio fait le tri et propose à 300 lecteurs inscrits et sélectionnés de participer à un vide-bibliothèque dans leur locaux et de repartir avec des livres gratuits ! Ce moment festif est aussi l’occasion d’établir le traditionnel Sapin de rêve des lecteurs ayant été présents à l’événement. Un sapin est dessiné au mur et chacun est invité à coller un post-it sur lequel il a inscrit son coup de cœur de l’année écoulée. Les listes recensant les ouvrages des années précédentes sont à retrouver en ligne. Vous avez également la possibilité de participer à des quiz, des animations ludiques en ligne. Un rendez-vous annuel est l’organisation du Prix Babelio. Les Babelionautes sont encouragés à voter pour leur livre préféré par catégorie. À l’issue de ce vote, une soirée de remise de prix (avec fontaine de chocolat et autres festivités) a lieu chez eux. À une fréquence mensuelle, Babelio propose des masse critique. Le principe ? C’est très simple : vous postulez et recevez un livre en échange d’une critique publiée sur le site.


Mes plus belles découvertes grâce à Babelio


Pour me suivre sur

 

 

 

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Citadins de demain. Capitale du Nord (t.1), Claire Duvivier : une saga de fantasy où la magie noire fait basculer la vie de trois amis

« Ils ont transformé le plomb en or, puis ils l’ont fondu pour en faire de bêtes figurines de tour de garde. » Produits d’une expérience éducative, Amalia et Hirion ont été façonnés par leurs parents pour devenir les « citadins de demain » : des âmes neuves dociles, érudites et sophistiquées au destin tout tracé. Amalia van Esqwill héritera d’une place dans la Compagnie du Levant, ainsi que d’une charge de délégué du haut conseil au Palais. Hirion de Wautier d’un puissant patrimoine immobilier. Yonas, leur ami élevé avec eux dans l’aristocratie, sera éclusier comme son père avant lui. Cette obsession de la pureté du sang va jusqu’à structurer la cité de Dehaven, inspirée de l’Amsterdam du siècle d’or, dont les quartiers : la Citadelle, le Port, les Faubourgs, la Prise et la Grille, reflètent les inégalités scindant la société. le mariage arrangé entre Amalia et Hirion s’inscrit dans cette dynamique de reproduction des élites. Au risque que le sang vicié par ces croisements n’affecte les descendants de troubles de la personnalité. À l’instar d’Hirion qui après avoir manipulé des objets ensorcelés affiche un comportement inquiétant. La rumeur enfle quand ce dernier est vu en transe, les yeux vitreux et les pieds nus, arpentant les ruelles un miroir à la main, sous l’emprise d’une musique que lui seul entend. Héritage familial ou folie due à l’usage de la sorcellerie ? le trio d’amis mène l’enquête et fait la découverte de l’existence d’un monde parallèle. Une vision sombre du futur, augurant de ce qu’il se passerait si la guerre civile éclatait ? Alors que les Faubourgs se soulèvent et les colonies revendiquent leur autonomie, le retour de forces occultes depuis longtemps disparues fait basculer la vie des trois amis dans la tragédie. Second volet du cycle de fantasy : La tour de garde, écrit à quatre mains, Capitale du Nord est le pendant de Capitale du Sud de Guillaume Chamanadjian. Claire Duvivier pose dans ce premier tome les jalons d’un univers romanesque mystérieux, mêlant épopée fantastique, magie noire et amitié autour d’une héroïne badass et attachante que l’avenir assombri contraint à lutter pour sa survie.

Lu dans le cadre d'une rencontre organisée par Babelio avec Claire Duvivier


Mon appréciation : 3,5/5

PRIX BABELIO 2022 : MEILLEUR ROMAN IMAGINAIRE

Date de parution : 2021. Aux Éditions Aux Forges de Vulcain, 384 pages.


Le cycle de La Tour de garde


Découvrez le second tome de Capitale du Nord

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Wild, Cheryl Strayed : marcher jusqu’à soi-même sur le Pacific Crest Trail

« Une digue s’est rompue en moi. Comme si j’ignorais que je pouvais respirer et que je venais de prendre ma première bouffée d’air. Je pleurais parce que je me sentais riche. Je me sentais féroce, humble et concentrée sur moi-même, en sécurité dans ce monde. » À l’été 95, Cheryl Strayed a vingt-six ans et s’apprête à entamer un voyage qui va changer sa vie. Quatre ans plus tôt, sa mère a été emportée par un cancer foudroyant ; depuis, sa famille a périclité, à l’instar de son mariage, dont ses infidélités à répétition ont eu raison. Seule au monde, avec la sensation d’être « une vraie vagabonde », Cheryl trouve dans la drogue une porte de sortie et se choisit un patronyme « Strayed » qui lui va comme un gant : « s’écarter du droit chemin, dévier de sa course, être sans père, ni mère, ne pas avoir de maison, errer inlassablement en quête de quelque chose ». Un jour, hasard de la vie ou intuition, elle tombe au détour d’un rayon sur un guide du PCT. L’idée de marcher jusqu’à elle-même sur le Pacific Crest Trail ; un sentier de randonnée de l’ouest des États-Unis de 4 200 km de long, reliant les frontières mexicaine et canadienne ; se met à germer. Sans préparation et mal équipée, poussée par « le chagrin, la confusion, la peur et l’espoir », Cheryl Strayed entame un voyage cathartique vers une éventuelle reconstruction. La douleur physique étouffe ses pensées, qui se diluent au gré des kilomètres parcourus. Toute son énergie est tournée vers un seul objectif : continuer à avancer. Retrouver sa place dans une nature sauvage, des paysages époustouflants, où les rencontres font « la magie du chemin », contribuant à apaiser son chagrin. Et peu importe si certaines questions demeurent en suspens et si le sens de sa vie lui échappe par moments. Elle l’a fait. La leçon à en tirer ne s’imposera que des années après, quand en pèlerinage sur les lieux avec son mari et ses deux enfants, elle formulera l’intention de faire de son aventure un récit initiatique bouleversant : « C’était tellement bon de lâcher prise ».

Il me faudrait des années pour retrouver ma place au milieu des dix mille choses. Pour devenir la femme que ma mère avait élevée. […] J’allais souffrir. Terriblement souffrir. J’allais vouloir que les choses soient différentes. Ce désir deviendrait une jungle dans laquelle je devrais trouver ma route. Il me faudrait quatre ans, sept mois et trois jours pour y parvenir. Sans savoir où j’allais jusqu’à ce que j’aie atteint mon but. Un but qui s’appelait le pont des Dieux.


Tout perdre

Entre l’annonce du cancer et le décès de sa mère, un mois seulement s’est écoulé – laps de temps que les médecins avaient initialement estimé à un an. Alors, dévastée par le chagrin et par la culpabilité d’avoir échoué à maintenir sa famille soudée, Cheryl Strayed avance pendant quatre ans sur le fil du rasoir : entre sexe avec des inconnus et shoot d’héroïne. Une descente aux enfers entamée pour combler le vide laissé par celle avec qui elle avait entamé des études de lettres à l’université, qui un beau jour avait filé au volant de sa voiture pour préserver ses enfants d’un mari violent et leur demandait combien tu m’aimes les bras écartés mimant un espace toujours plus grand. L’effroi provoqué par le vertige d’une vie sans épicentre, sans un noyau qui malgré la pauvreté contribuait à lui procurer un sentiment d’appartenance et de sécurité, la jeune femme de vingt-deux ans chavire, partagée entre la douleur de ce qu’on lui a arraché et la colère d’avoir été abandonnée. Elle enchaîne les petits boulots et les relations d’une nuit, alimentant une spirale autodestructrice jusqu’à se dissoudre complètement. S’inspirant dégoût et répulsion. Tomber sur un guide du PCT est un signe. Le destin lui offre une chance de conjurer ses démons et de faire rédemption.

J’aurais voulu parler à Karen, Leif ou Eddie. J’aurais voulu avoir à nouveau une famille, faire partie d’un tout indestructible. Pourtant, ils avaient beau me manquer terriblement, j’éprouvais aussi pour chacun d’eux un sentiment brûlant proche de la haine. J’imaginais qu’un gros engin, du genre de celui qui avait ravagé la forêt, retournait nos seize hectares dans le Minnesota. Je souhaitais de tout mon cœur que cela arrive. Alors, je serais enfin libre. Puisque la mort de ma mère avait prouvé que nous n’étions plus indestructibles, la destruction totale serait un soulagement. La perte de ma famille, de mon foyer, c’était ma zone déboisée personnelle. Il ne restait que les ruines affreuses d’une chose qui n’existait plus.


Partir pour se reconstruire

Mon ancienne vie s’attardait sur ma peau comme un bleu. Mais dessous, la vraie moi se rebellait contre tout ce que j’avais cru acquis.

J’avais conscience de me trouver à un carrefour. Je ne me supportais plus. Il fallait que je me résolve à prononcer les mots qui allaient réduire ma vie en morceaux. Dire à Paul, non pas que je ne l’aimais plus, mais que j’avais besoin d’être seule, sans même savoir pourquoi.

Un mois après l’officialisation de son divorce, sur 1 700 kilomètres : du désert de Mojave à l’État de Washington, Cheryl Strayed entame une marche cathartique. Chaque pas effectué sur le PCT l’éloignant un peu plus de la petite fille qu’elle a été, tout en la rapprochant davantage de la femme apaisée, forte de son exploit. Sanglé sur ses épaules, son sac – malicieusement rebaptisé Monster – symbolise le fardeau qu’elle porte sur son dos. La première fois qu’elle le soulève dans sa chambre du White’s Motel, où elle passe la nuit la veille du jour J, donne d’ailleurs lieu à une scène que l’on se figure le sourire aux lèvres. Prenant une profonde inspiration, après maintes contorsions, Cheryl passera de la position accroupie à verticale arrachant au passage une grille de climatisation. Ce n’est que sur la route, encouragée par un randonneur averti – ancien chef scout, qu’elle accepte d’écarter les objets dénués d’utilité. Ainsi délestée de ces poids morts, elle avance plus légère. À l’image des pensées ressassées depuis des années vaincues par les exigences du chemin caillouteux. Sur le PCT, le vrai danger éclipse les nœuds que le cerveau se fait. Seul compte la satisfaction des besoins primaires : marcher (jusqu’à que ce que six de ces ongles de pieds ne finissent par tomber), boire (à l’occasion de l’eau croupie), manger (de la bouillie en rêvant de fast food), dormir (en évitant de se faire croquer par un ours attiré par les sachets d’aliments déshydratés). Ici les priorités évoluent. Le sentiment d’être vulnérable accru. La répétition des tâches quotidiennes : monter/démonter la tente, rassembler le matériel de bivouac…et la contemplation de paysages naturels à l’état sauvage : les étendues désertiques de la Californie du Sud, les sommets escarpés de la High Sierra, le sol volcanique de la Californie du Nord, les étendues boisées de l’Oregon – « cette forêt avait quelque chose de magique – elle était presque gothique dans sa somptuosité verte, à la fois lumineuse et sombre, si luxuriante qu’elle semblait surnaturelle et tout droit sortie d’un conte de fées », participent à détacher Cheryl de son passé. À l’ancrer dans le moment présent en mettant son corps en mouvement. D’aucuns y verront une fuite ; mais comme le souligne l’autrice américaine, si dans la drogue elle a cherché une porte de sortie, le PCT a lui été une porte d’entrée. Un sentier alternatif lui permettant de s’extraire d’une situation désespérée pour in fine se trouver. Les grincheux trouveront donc matière à réviser leur jugement concernant la « fuite », souvent connoté péjorativement et associé à une forme de lâcheté. Comme si un contrat nous liait à ne surtout rien changer d’un quotidien déprimant.

C’était lié à la sensation qu’on éprouve quand on est en pleine nature. Quand on marche pendant des kilomètres sans autre raison que de contempler l’accumulation d’arbres, de prairies, de montagnes, de déserts, de ruisseaux, de rochers, de fleuves, d’herbes, de levers et de couchers de soleil. C’était une expérience puissante et fondamentale. J’avais la conviction qu’il en avait toujours été ainsi depuis les débuts de l’humanité, et que tant que la nature existerait à l’état sauvage, cela ne changerait pas.


Trouver sa place

C’était occupé. Par moi. J’étais là. Je n’avais pas ressenti ça depuis des lustres : l’impression d’être en moi, d’occuper ma place dans l’insondable Voie lactée.

À travers ce récit autobiographique, Cheryl Strayed pose la question de la place que l’on occupe au sein de sa famille, de la société, de son couple, de sa vie. Comment un drame dans une famille redistribue les rôles de chacun. En tant qu’aînée, Cheryl Strayed a occupé la place laissée vacante par son père, qui a disparu suite au décès de sa mère. Position inappropriée faisant peser sur les épaules de l’adolescente de lourdes responsabilités. Une des tâches de Cheryl Strayed au cours de son itinérance consistera à cesser de mettre sur un piédestal la mère-courage qu’elle admirait et à la voir telle qu’elle était. Une femme comme les autres avec ses défaillances et ses égarements. Ce passage d’un regard d’enfant à un regard d’adulte porté sur les parents s’avère d’autant plus délicat dans son cas que la colère qu’elle aurait dû plus jeune diriger vers sa mère n’a pas d’objet où se poser et finit donc par lui être retournée de plein fouet. Par simple ricochet, l’explosion de la cellule familiale entraîne celle maritale. Et ce n’est pas faute d’aimer son mari. Preuve en est : quelques jours avant de se lancer sur le PCT les ex-époux se tatouent le même symbole sur le bras. Mais pour être disposé à aimer, encore faut-il savoir qui l’on est. Ne pas mettre en doute son identité et être en mesure d’identifier ses désirs. C’est tout le travail intérieur que Cheryl Strayed a effectué avant de retrouver une certaine forme de stabilité.


Mon appréciation : 4,5/5

Date de parution : 2012. Poche chez 1018, traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Guitton, 504 pages.


Plus d’héroïnes « wild »

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