Attention !!! Vous avez entre les mains une grenade dégoupillée, une petite bombe littéraire ! Fief est LA révélation de la rentrée littéraire 2017. David Lopez reprend les codes de la rue pour coller au plus près à la réalité des jeunes des quartiers. Un roman déroutant, terriblement puissant ! Il s’exprime dans une langue crue, en évitant l’écueil de la vulgarité, se dispense de préliminaires inutiles et va droit à l’essentiel. Fief tape là où ça fait mal. L’auteur réalise un véritable tour de force. Pour un premier essai, c’est un coup de maître. Sortie de ma zone de confort, j’ai été sidérée par la façon avec laquelle l’auteur pulvérise les carcans de la littérature, habituellement plus conformiste. On suit Jonas, dont l’activité principale consiste à tromper l’ennui, la vacuité d’une existence passée à fumer des joints entre potes et tirer des plans sur la comète. Leur fief, c’est leur façon de s’exprimer. Ils remanient la langue pour mieux se l’approprier. Une façon de refuser de se conformer, d’affirmer leur singularité, leur identité et leur droit à transgresser. L’écriture de l’auteur est nerveuse. Les mots fusent, l’énergie est palpable, l’agressivité à fleur de mots. On est constamment sur le qui-vive, prêt à esquiver les conséquences d’une remarque mal interprétée. Cette rage sourde tapie en chacun d’eux se tient prête à exploser. Coincés entre la banlieue et la campagne, ils ressassent à longueur de journée la même litanie. C’est un roman à deux vitesses. La fougue de la jeunesse est bridée par le manque de perspectives qui s’offrent à eux. Cette prise de conscience laisse peu à peu la place à l’indolence. David Lopez utilise les mots justes pour évoquer ce fatalisme latent. Cette désillusion précoce. La chute inéluctable qui les guette. À la fois percutant, mais également touchant, Fief est le constat amer de cette désillusion. Pour éviter d’avoir à se confronter à la réalité, chacun se berce d’illusions, de rêves d’évasion. Ils se lancent à la poursuite de chimères, espérant ainsi déjouer les pronostics. À constamment fuir la réalité, elle finit par les rattraper. Au risque de leur exploser en pleine gueule.
Une temporalité figée
Ce qui est terrible dans Fief, c’est cette impression de voir Jonas et sa bande faire du sur-place. Ils répètent inlassablement les mêmes actions sans pour autant aspirer à un quelconque changement. Cet immobilisme est la conséquence de leurs choix, ou plutôt justement de leur incapacité à en faire. Puisque chaque infime variation pourrait modifier leurs habitudes, ils s’attellent à ne jamais rien faire évoluer. L’adage on sait ce qu’on perd, on ne sait pas ce qu’on gagne leur sied comme un gant. C’est cette peur du risque qui les pétrifie. Comme bloqués dans des sables mouvants, chaque mouvement les rapprochant un peu plus du fond, ils préfèrent vivre bercés d’illusions plutôt que de fournir un effort qui pourrait les en libérer. Néanmoins, David Lopez ne formule pas de jugement à leur égard. Au contraire, il porte un regard compréhensif sur eux. On y décèle même une profonde tendresse. Car finalement, qu’est-ce-qui s’offre à eux ? Jonas pourrait devenir boxeur professionnel. Il en a l’étoffe, quoiqu’il faudrait encore qu’il s’en donne les moyens. Le souci, c’est qu’ils manquent tous de confiance en eux. Leur agressivité vient de là. En somme, ce n’est qu’une forme de protection, ce qu’ils leur restent puisqu’ils ont l’impression de n’être que peu de choses. David Lopez met à jour ce cercle vicieux, ce serpent qui se mord la queue. La violence se nourrit de ce sentiment d’infériorité, d’être constamment rejeté, de n’être à sa place nulle part, pour finir par en devenir la cause même.
Un premier roman fulgurant
J’ai rarement lu un premier roman aussi réussi. L’auteur maîtrise son sujet de bout en bout. Et pourtant, ce n’était pas gagné. Fief réunissait sur le papier tous les ingrédients qui pouvaient me rebuter. Des jeunes de quartiers constamment défoncés, un brin désabusés, évoluant dans un patelin paumé. Bref, tout ce que j’aime. 😉 Et là, BAM !! La magie opère, les astres s’alignent. Je suis subjuguée par la plume de l’auteur, emportée par la vie de cette bande de quartier. David Lopez est un sorcier. Dans son roman tout est savamment dosé. La plume est fine, incisive. Les mots claquent. Une énergie folle se dégage de Fief. Ce qui pourtant peut sembler paradoxale, puisque le sujet du roman est justement cet ennui que Jonas tente d’endiguer. Alors, ils se créent des subterfuges destinés à occuper leurs journées. On fume, on joue aux cartes, on s’embrouille, bref on meuble le temps comme on peut. Et c’est là tout le talent de l’auteur. Le lecteur, lui ne s’ennuie jamais. Au contraire, on décèle derrière les tempéraments nerveux, une fragilité touchante. Les carapaces se fissurent. Il finit par en émerger une certaine candeur. Mais encore faut-il se donner la peine de la chercher. Au moindre mouvement elle se carapate, elle ne se donne pas à voir si facilement. Il est rare de tomber sur une scène de sexe réussie en littérature. Trop mièvre, peu vraisemblable, nunuche ou carrément porno, en général le lecteur est le témoin gêné d’une scène qui ne colle pas du tout à la réalité. David Lopez prouve qu’il est possible de faire surgir des mots, des émotions, de rendre palpable le désir de ceux qui la vivent. Sincèrement, je suis bluffée par le talent de l’auteur. Tout simplement, bravo !
Conclusion
Passer à côté de ce roman aurait été une grosse erreur, et pourtant j’étais plus que récalcitrante. À mon avis, c’est un roman clivant, soit on adore, soit on déteste. Je vous laisse le découvrir et choisir votre camp. 😉 N’hésitez pas à me dire en commentaires, si vous l’avez lu, ce que vous en avez pensé. Je serais curieuse d’avoir vos avis.
>>> RENTRÉE LITTÉRAIRE 2017 (#RL2017)