LITTÉRATURE JAPONAISE

Au prochain arrêt, Hiro Arikawa : train de vies

22 juin 2021

« Il ne vaut rien, répondit la vieille dame […] Et si vous disiez stop ? Parce que vous allez souffrir. » Assises toutes deux dans le wagon de train à destination de Nishinomiya, Misa et la vieille dame ne se connaissent pas. D’où l’étonnement peint sur le visage de Misa quand cette étrangère lui conseille de quitter l’homme violent, en proie à un sentiment d’infériorité, qui vient de la planter après l’avoir publiquement humiliée. Cette remarque en apparence anodine, formulée à la volée entre deux arrêts, fera son chemin dans l’esprit de la jeune fille. Une fois déposée, la graine n’aura plus qu’à germer, la convainquant du bien-fondé de mettre un point final à une relation toxique dont elle sortira brisée. Construit sur une double temporalité : l’aller, puis le retour quelques mois après – nous offrant une vision de la vie des passagers après les micro-collisions qui bousculeront leurs destinées, le huis clos ferroviaire écrit par l’autrice nipponne de Mémoires d’un chat est une parenthèse enchantée et une ode à l’altérité. Une invitation à se laisser surprendre et cueillir par des rencontres inattendues. Ces micro-moments sont autant de légères déviations de lignes de vie, que de bouleversements plus conséquents qui infléchiront durablement les destins des passagers. Des fenêtres sur l’intimité qui se crée entre deux adolescents ou sur le désir de vengeance assouvi d’une femme trompée par son fiancé parti avec une amie…  Cette douce allégorie de la vie qu’est le voyage en train est la preuve que réaliser un pas de côté de temps en temps permet d’envisager la vie plus clairement, en adoptant un angle différent. Accepter l’imprévu c’est se délester des idées préconçues et conscientiser ce que le quotidien contribue à banaliser. Dans nos sociétés individualistes, où les déviances sécuritaires se doublent d’un repli identitaire, faire le choix de la solidarité est encore le meilleur moyen de résister et c’est précisément ce que fait Hiro Arikawa dans ce court et lumineux roman tout en subtilité, conçu comme un éloge de l’instant présent.


Mon évaluation : 4/5

Date de parution : 2021. Actes Sud, traduit du japonais par Sophie Refle, 192 pages.

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