« Est-il possible de se fuir soi-même ? …s’il n’existe aucun chemin qui mène hors du monde… » Si celui-ci est trop étriqué pour satisfaire au tempérament fougueux d’une femme au foyer étouffant au cœur de l’hiver islandais, la société doit-elle pour autant la condamner pour avoir fui ses responsabilités et rêver d’une autre vie ? Quel refuge offrir aux êtres flamboyants, fragiles, à la sensibilité inadaptée au quotidien banal qui leur est proposé ? Télescopant les époques – des années cinquante à aujourd’hui, faisant fi de toute linéarité – subterfuge que l’être humain en quête de sens a conçu pour se donner un semblant de stabilité, Sigvaldi, reconstitue le destin torturé d’Ásta, sa fille. Le temps est compté. Allongé dans la rue, au pied de l’échelle qu’il a dégringolée, les souvenirs affluent, qu’il confie à une inconnue. Son amour passionnel pour la mère d’Ásta, l’ardeur de leurs étreintes, sa fascination pour cette épouse d’une beauté douloureuse qu’il a échoué à rendre heureuse, de ses fêlures, des conflits et des accalmies, de la lente descente aux enfers de leur couple sombrant au rythme des verres éclusés, jusqu’au jour où, sans un mot, ni une explication, Helga est partie, abandonnant ses deux filles et son mari. Comme toujours, chez Stefánsson, vivre est une affaire de survie. À l’instar du combat mené par Ásta pour s’émanciper de la mélancolie mâtinée de folie dont elle a hérité et étancher sa soif de liberté et d’indépendance, qui la retient d’aimer. Effrayée à l’idée de perdre le contrôle de sa vie en la cédant à autrui. Quand ceux censés nous protéger ont échoué, comment aimer sans y voir une marque de vulnérabilité ? Jón Kalman Stefánsson fait émerger la beauté des parcours chaotiques des êtres ordinaires peuplant ses romans, ballottés au gré des événements, comme ce pays, rude et puissant, balayé par des rafales de vent. Et c’est éblouissant. « Parce que c’est de ça que ce maudit monde a besoin en ce moment : des livres écrits pour fendre les ténèbres ! » Ásta (dérivé de « ast » amour en islandais) est de ceux-là : une tentative de fendre l’armure, un éclair de poésie, dans un monde qui s’assombrit.
Mon appréciation : 4,5/5
Date de parution : 2017. Grand format aux Éditions Grasset, poche aux Éditions Folio, traduit de l’islandais par Éric Boury, 480 pages.
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