LITTÉRATURE FRANÇAISE

Une amie de la famille, Jean-Marie Laclavetine : ressusciter l’absente par les mots

25 avril 2019
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Il aura fallu cinquante ans à Jean-Marie Laclavetine pour briser le mutisme dans lequel sa famille s’est murée et exprimer le traumatisme qui le poursuit. Le silence qui a entouré l’accident s’est abattu comme une chape de plomb sur sa vie, empêchant toute allusion à sa sœur de vingt ans morte noyée il y a des années. Chaque famille a ses secrets, des fantômes qu’elle préfère ne pas réveiller. Ils sont impalpables, insondables et se dérobent à un œil étranger, et pourtant ils structurent inconsciemment la famille, qui finit par en épouser les contours, même si rien n’est dit, même si tout le monde se tait comme si cela permettait d’atténuer la réalité. Lorsque des années après, une des petites-filles demande à sa grand-mère qui est cette femme en photo avec le reste de la famille, elle écope d’une gifle bien sentie. Le mutisme, qui prend racine dans le décès d’Annie, s’installe puis se déploie année après année, personne ne venant l’abroger. Jean-Marie Laclavetine attendra le décès de ses parents pour retourner sur les pas d’Annie, pour se souvenir de la jeune fille qu’elle était, afin que nul témoin ne vienne entraver une démarche si longtemps repoussée visant par les mots à la ressusciter, l’extraire du sarcophage cadenassé dans lequel on l’avait enterrée. L’écriture pour Jean-Marie Laclavetine a certainement vertu de catharsis, mais l’enjeu est ailleurs. Il écrit pour libérer cette sœur écrasée sous le poids des non-dits. Faire affluer les souvenirs pour rendre présente celle que son petit-frère interrogé par ses amis nommera maladroitement « l’amie de la famille ». L’absente est là, et pourtant chacun s’évertue à la contourner. C’est une fuite en avant pour mieux se préserver. Ne pas y penser puisque de toute façon la réalité ne souffre aucun saut dans le temps, rien n’y fait, Annie s’est écroulée d’épuisement après avoir lutté pendant plus d’une heure dans l’eau. Son corps a fini par lâcher. Elle est partie mais aujourd’hui elle revit à travers ce roman d’une délicatesse inouïe que son frère lui a consacré.

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