Il aura fallu cinquante ans Ă Jean-Marie Laclavetine pour briser le mutisme dans lequel sa famille sâest murĂ©e et exprimer le traumatisme qui le poursuit. Le silence qui a entourĂ© lâaccident sâest abattu comme une chape de plomb sur sa vie, empĂȘchant toute allusion Ă sa sĆur de vingt ans morte noyĂ©e il y a des annĂ©es. Chaque famille a ses secrets, des fantĂŽmes quâelle prĂ©fĂšre ne pas rĂ©veiller. Ils sont impalpables, insondables et se dĂ©robent Ă un Ćil Ă©tranger, et pourtant ils structurent inconsciemment la famille, qui finit par en Ă©pouser les contours, mĂȘme si rien nâest dit, mĂȘme si tout le monde se tait comme si cela permettait dâattĂ©nuer la rĂ©alitĂ©. Lorsque des annĂ©es aprĂšs, une des petites-filles demande Ă sa grand-mĂšre qui est cette femme en photo avec le reste de la famille, elle Ă©cope d’une gifle bien sentie. Le mutisme, qui prend racine dans le dĂ©cĂšs d’Annie, sâinstalle puis se dĂ©ploie annĂ©e aprĂšs annĂ©e, personne ne venant l’abroger. Jean-Marie Laclavetine attendra le dĂ©cĂšs de ses parents pour retourner sur les pas d’Annie, pour se souvenir de la jeune fille quâelle Ă©tait, afin que nul tĂ©moin ne vienne entraver une dĂ©marche si longtemps repoussĂ©e visant par les mots Ă la ressusciter, l’extraire du sarcophage cadenassĂ© dans lequel on l’avait enterrĂ©e. L’Ă©criture pour Jean-Marie Laclavetine a certainement vertu de catharsis, mais l’enjeu est ailleurs. Il Ă©crit pour libĂ©rer cette sĆur Ă©crasĂ©e sous le poids des non-dits. Faire affluer les souvenirs pour rendre prĂ©sente celle que son petit-frĂšre interrogĂ© par ses amis nommera maladroitement « l’amie de la famille ». L’absente est lĂ , et pourtant chacun s’Ă©vertue Ă la contourner. C’est une fuite en avant pour mieux se prĂ©server. Ne pas y penser puisque de toute façon la rĂ©alitĂ© ne souffre aucun saut dans le temps, rien n’y fait, Annie s’est Ă©croulĂ©e d’Ă©puisement aprĂšs avoir luttĂ© pendant plus d’une heure dans l’eau. Son corps a fini par lĂącher. Elle est partie mais aujourd’hui elle revit Ă travers ce roman d’une dĂ©licatesse inouĂŻe que son frĂšre lui a consacrĂ©.
LITTĂRATURE FRANĂAISE
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