1984, Tokyo. Une tueuse à gage d’une trentaine d’années, la symphonie d’un compositeur tchèque, les conseils abscons d’un chauffeur de taxi, un écrivain rêvant d’être publié, deux enfances sacrifiées, l’apparition d’une deuxième lune dans le ciel, des rêves brumeux… De tous ces événements souvent insignifiants, bien que troublants, l’univers d’Haruki Murakami surgit. Altérant par touches successives la réalité, l’imagination foisonnante du romancier japonais la grignote, jusqu’à plonger ses héros dans un abîme de perplexité. Qui sont les little people, dont l’existence sert de point de jonction entre les vies de Tengo et d’Aomamé ? Des personnages imaginaires présents dans le premier roman brillant d’une adolescente de 17 ans – La chrysalide de l’air, dont Tengo est chargé par son éditeur de remanier le manuscrit, ou les adeptes d’une secte religieuse dangereuse ? Que ce soit dans l’opposition sémantique entre les Little People et Big Brother ou dans le titre qui varie à une lettre près, 1Q84 est un clin d’œil malicieux et assumé à la dystopie de #GeorgeOrwell. Si dans l’imaginaire collectif, Big Brother est devenu une figure métaphorique de la surveillance au sein des régimes totalitaires, les little people, au contraire, tel un cheval de Troie, agissent à couvert. Quant à la lettre Q – pour Question, elle cristallise l’univers hypnotique de Murakami et symbolise la jonction avec l’univers altéré, énigmatique et troublant dans lequel évoluent parallèlement les deux héros, avant que leur trajectoire ne finisse par se croiser. Satire caustique des milieux littéraires, histoire d’amour, roman féministe radical – incarné par une tueuse de haut vol supprimant les hommes violents, critique du système judiciaire japonais, de son impunité, d’une société patriarcale où le machisme est profondément enraciné, 1Q84 est une œuvre riche et mystérieuse, qui m’a toutefois laissé un arrière-goût mitigé. La puissance imaginative étant gâchée par la sexualisation systématique des personnages féminins, notamment l’obsession du romancier pour leurs seins. Le ton libidineux achevant de rendre malaisant un roman par ailleurs captivant.
💪 Héroïne Badass : Aomamé
« Transformée » par le suicide de sa meilleure amie terrorisée par son mari, l’héroïne de la trilogie 1Q84 déclare la vendetta aux hommes « du genre à ne se défouler que sur les femmes », agissant en toute impunité dans une « société japonaise encore très indulgente vis-à-vis des hommes ». Armée d’un pic à glace à la pointe aiguisée, Aomamé assassine avec sang-froid, méticuleusement, sans laisser de traces, suivant un procédé sophistiqué qu’elle seule maîtrise. Justicière ou criminelle ? Résolument badass en tout cas !
« Le problème, c’est la manière dont on vit. Le plus important est d’être toujours en mesure de se protéger soi-même. Quand on se résigne à être agressé, ça ne vous mène nulle part. Le sentiment d’impuissance chronique finit par détruire un être humain. »
« Elle n’aurait pas hésité une seconde à mettre réellement en pratique ses techniques raffinées en cas de nécessité. Elle était tout à fait résolue, si de clairement ce qu’était la fin fin du monde. À bien lui faire voir en face la venue du Royaume. À l’envoyer droit sur l’hémisphère Sud rejoindre les les kangourous et les wallabys, et à faire pleuvoir sur lui une profusion de cendres radioactives. »
« Il s’agissait de sa dignité. Personne n’avait le droit de la fouler aux pieds. Quant au sentiment d’impuissance, c’était quelque chose qui rongeait les gens éternellement.
Mon appréciation : 3/5
Date de parution : 2009. Poche aux Éditions 10/18, traduit du japonais par Hélène Morita, 552 pages.
AMOURIMAGINAIRE
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